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Les autres temples d’Agrigente sont beaux sans doute ; mais, quand on a vu Athènes, on est difficile. Le soin de l’exécution y est bien moindre que dans les édifices athéniens. Une sorte de stuc revêtait la colonne et dissimulait toutes les imperfections du travail. Des négligences, des à-peu-près comme ceux qu’on remarque dans la plupart des temples égyptiens, se rencontrent ici à chaque pas. L’imprévoyance de l’architecte se trahit. Décidément, la perfection a été l’invention des Athéniens. Venant les derniers, ils ont innové en réalisant l’idée d’édifices bâtis a priori dans la carrière, d’édifices où chaque pierre est taillée d’avance pour la place qu’elle doit occuper. L’exécution des détails de l’Erechtheum par exemple est une merveille qui dégoûte de tout ce que l’on voit ensuite. Dans les temples d’Agrigente, l’enduit et la polychromie masquaient les défauts. Tout voyage, toute recherche, toute étude nouvelle est ainsi un hymne à Athènes. Athènes n’a rien créé de première main ; mais en toute chose Athènes a introduit l’idéal. Et quel respect pour la Divinité ! Comme on ne cherche pas à la tromper ! On a découvert dans un trou devant le Parthénon un tas de tambours de colonnes rebutés. Il faut y regarder de très près pour apercevoir le défaut qui les a fait rejeter. Ce qu’on ne voit pas est aussi soigné que ce qui est visible. Rien de ces honteux décors vides, de ces apparences menteuses qui forment l’essence de nos édifices sacrés.

Cette rude journée nous avait épuisés, et le cordial banquet que nous donnèrent les Agrigentins sur le champ même des ruines n’avait fait que nous inspirer le désir du repos. Nous reçûmes avec joie la nouvelle que l’hospitalité nous était préparée chez Gellias. Gellias fut un riche citoyen de l’ancienne Agrigente (Ve siècle avant Jésus-Christ) qui avait fait bâtir un grand nombre d’hôtelleries, à chacune desquelles était attaché un portier qui invitait les étrangers à entrer pour recevoir une gratuite et splendide hospitalité. Son nom est devenu celui d’un hôtel, où nous prîmes un fort doux repos, — doux, mais court. À cinq heures du matin, une course rapide, exécutée partie en chemin de fer, partie en voiture, partie à cheval, nous mena au cœur de la Sicile, à Racalmuto, centre de l’extraction du soufre, industrie qui prend de tels développemens, par suite des besoins de l’industrie moderne, que la province de Girgenti en deviendra l’un des pays les plus riches du monde. C’est l’Afrique que nous vîmes ce jour-là se dérouler devant nous en cette chaîne de collines brûlées par les fumées sulfureuses, sans arbres, sans verdure, sans eau. La gaîté sicilienne résiste à tout. Les réceptions de Grotte et de Racalmuto furent de toutes peut-être les plus originales, les plus empreintes de curiosité aimable. Je n’oublierai jamais la banda musicale de Grotte. Elle s’obstinait à résoudre un