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la voie des tombeaux, les fortifications de l’Épipole, élevées par Denys le Tyran, et surtout ces latomies grandioses, qui jouent un si grand rôle dans l’histoire de Syracuse, font la plus vive impression. Rien ne peut rendre l’effet de ces carrières à ciel ouvert, d’une profondeur énorme, au fond desquelles s’étalent, à l’abri des masses taillées par la scie antique, de frais et luxurians jardins de figuiers et d’orangers. La nature inégalement friable des couches de calcaire a produit dans les parois les jeux les plus bizarres ; une belle végétation de lierre et de rinceaux pendans forme devant chaque échancrure de rocher des rideaux transparens de verdure. Un déjeuner avait été préparé dans une de ces salles à demi hypogées ; un écran de citronniers et de grenadiers rejoignant les guirlandes naturelles que formaient les plantes grimpantes produisait un délicieux demi-jour. À une hauteur immense au-dessus de nos têtes, et comme suspendus aux parapets de tours démesurées, se dessinaient quelques spectateurs mêlés aux arbres suspendus sur l’abîme. Une musique excellente faisait retentir ces longs couloirs de l’hymne royal de Savoie ; mais nous avions peine à ne pas entendre, à travers ces sons harmonieux, les gémissemens qui remplirent autrefois ces cavités aujourd’hui si riantes, et particulièrement le désespoir des 7,000 Athéniens, qui y périrent de faim et de misère après la folle expédition de 413.

Les catacombes et une vieille crypte ornée de peintures ont de l’intérêt pour l’archéologie chrétienne ; le musée, outre une Vénus bien connue, a quelques fragmens grecs qu’on dirait provenir du Parthénon ; mais la perle antique de Syracuse, c’est encore l’Anapus. Seul à peu près entre tous les fleuves de Sicile, l’Anapus a toute l’année un volume d’eau supérieur à celui d’un ruisseau. La beauté plantureuse de la campagne de Syracuse vient des eaux de ce petit fleuve, dérivées de la montagne et amenées par des aqueducs anciens sur les hauteurs des Épipoles. La vallée, malgré toutes ces saignées, conserve encore une masse d’eau assez sérieuse, laquelle, à 2 kilomètres environ de la mer, est triplée ou quadruplée par une énorme source, la fontaine Cyanée, qui naît dans la basse vallée d’un gouffre analogue à celui du Loiret, et envoie ses eaux à l’Anapus après un cours d’environ une lieue et demie. Elle est tout ce temps navigable pour de fortes barques. Cette petite navigation, avec ses effets tour à tour gais et mélancoliques, est une des choses les plus ravissantes qui se puissent voir. Peu de choses m’ont fait autant de plaisir. On prend une barque au quai de Syracuse ; on traverse ce beau port, l’un des plus grands, des plus profonds, des plus sûrs du monde ; on franchit non sans peine une barre à l’embouchure du fleuve et l’on entre dans une belle eau limpide,