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dans toutes les directions, plus préoccupé des choses que des personnes, ainsi fait, comme il l’a écrit lui-même, « qu’il lui fallait des croyances pour agir et des raisons pour croire, » ayant d’ailleurs le culte du beau aussi bien que du vrai, et saluant d’une admiration presque égale une belle pièce de théâtre et une forte démonstration philosophique. « Il est, disait M. Saint-Marc Girardin, comme certains astres : il a une atmosphère immense et un noyau solide. »

Il ne suffit pas, pour faire connaître un tel homme, de quelques traits ingénieusement rassemblés; il faut le suivre dans toutes les phases de sa vie active et intellectuelle. Ce n’est donc pas un portrait que j’essaie de faire; c’est le résumé d’une vie consacrée tout entière à la recherche du vrai, du bien et du beau.

La famille de M. de Rémusat était originaire de la Provence ou du moins elle y était établie depuis longtemps. Son père, avocat-général à la cour des aides du parlement d’Aix, y avait épousé, en premières noces, Mlle de Saqui-Sannes, qui le laissa veuf sans enfans. Venu à Paris après la terreur, il épousa, en 1796, Mlle de Vergennes, nièce du ministre de ce nom, dont le père était mort sur l’échafaud, et qui n’avait alors que seize ans. Un an après, elle donnait le jour à un fils qui a été Charles de Rémusat. Mme de Rémusat était une personne d’une rare distinction, comme le prouvent sa correspondance, deux romans dont M. Sainte-Beuve a pris connaissance[1], et surtout un essai sur l’éducation des femmes publié par son fils en 1824. Les premières leçons d’une mère tendre et sensée, quand elles s’appliquent à une nature droite et impressionnable, laissent une empreinte qui ne s’efface jamais, et il est permis de croire que M. de Rémusat doit surtout à sa mère la fermeté d’esprit et la délicatesse de sentimens qu’il a gardées à travers toutes les épreuves de la vie.

Il passa pourtant ses premières années dans un lieu peu favorable à l’indépendance de la pensée. La mère de Mme de Rémusat, Mme de Vergennes, avait avec Mme Beauharnais de bonnes relations, qu’elle avait continuées avec Mme Bonaparte. Quand, après la première campagne d’Italie, le nouveau gouvernement s’établit, elle demanda un emploi pour son gendre, et Joséphine s’empressa d’offrir à Mme de Rémusat la place de dame du palais et à son mari celle de préfet du palais. Une position plus indépendante eût paru préférable ; mais il fallait accepter ou renoncer à toute carrière publique. M. et Mme de Rémusat acceptèrent, et en 1802 ils s’installèrent à Saint-Cloud avec leur fils, alors âgé de cinq ans. C’était

  1. Sainte-Beuve, Portraits de femmes, — Mme de Rémusat.