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mois après, dans une autre brochure intitulée De la Procédure par jurés en matière criminelle, il complétait son œuvre. Comme les chefs du parti doctrinaire, M. Royer-Collard, M. de Broglie, M. de Serre, M. Guizot, M. de Rémusat ne comprenait pas pour la presse d’autre juridiction que le jury, et cette conviction, il l’a toujours gardée.

En même temps qu’il préludait aux luttes politiques qui devaient remplir son existence, M. de Rémusat n’abandonnait pas la littérature, et en 1819 il publiait dans le Lycée, recueil dirigé par MM. Villemain et Loyson, un article sur la révolution du théâtre, où il prédisait les réformes qui étaient à la veille de s’accomplir. Dans cet écrit, il parlait avec un grand dédain de « ces esprits retirés qui ne produisent et n’acquièrent plus, mais qui ne peuvent souffrir, que d’autres fassent fortune. » Puis il avertissait ces sortes de littérateurs qu’ils étaient en péril. « L’ancien régime dramatique, disait-il, est ébranlé; l’esprit révolutionnaire y fermente. L’insurrection approche. » Et il se félicitait que le public eût contracté le besoin d’émotions plus vives et moins communes. Plus tard, au temps du Globe, ces idées ont été fort développées et sont devenues banales. Elles étaient nouvelles alors. M. de Rémusat traduisait au même moment le théâtre de Goethe avec son ami M. de Guizard, et le traité de Legibus de Cicéron pour l’édition de son ancien professeur, M. Victor Leclerc; mais, dans la préface qu’il joignait à ce traité, l’homme politique reparaissait, et dans sa peinture du parti aristocratique de Rome, il n’était pas difficile de trouver plusieurs traits qui s’appliquaient évidemment au parti ultra-royaliste français.

Ce parti venait de reprendre le pouvoir, et l’essai libéral de la restauration n’avait pas eu une longue durée. M. Dessoles avait succombé devant l’hostilité de la diplomatie et de la cour; M. Decazes, qui lui avait succédé, était tombé lui-même après l’assassinat du duc de Berry. M. de Rémusat rentra alors dans l’opposition pour n’en pas sortir jusqu’à la révolution de 1830. Il avait pris trop de goût à la politique pour se borner à la littérature, et en 1827 il accepta avec joie la proposition que lui faisait M. Thiers de partager la direction des Tablettes universelles, recueil périodique fondé par M. Coste. « Nous sommes la jeune garde, » lui disait alors M. Thiers, et il ajoutait « qu’il ne ferait jamais rien sans lui demander d’en être. » C’est ainsi qu’a commencé cette liaison que la mort seule a pu rompre, et où, de part et d’autre, toutes les promesses ont été tenues. Le premier article que M. de Rémusat publia dans ce recueil, sur le choix d’une opinion, était surtout dirigé contre ceux qui, dans leur égoïsme, croient pouvoir rester froids spectateurs des discordes civiles et conserver la neutralité entre les