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changés. Le caractère dominant de la société actuelle, c’était l’impartialité, condition de la justice. Il y avait donc lieu d’espérer que désormais la liberté de penser, réclamée par les vaincus, ne serait plus mise en oubli par les vainqueurs. Ils pourraient encore l’outrager sans la méconnaître, et en dépit des passions elle modérerait leur vengeance, elle allégerait leur domination. »

À cette époque, la direction de l’opposition libérale se partageait entre deux salons, le salon du duc de Broglie et celui de M. de Lafayette, le premier résolu à persister dans les voies légales, tant qu’il n’y aurait pas de coup d’état, le second plus disposé aux entreprises aventureuses. Dans l’un comme dans l’autre, M. de Rémusat tenait le premier rang, gourmandant ici certaines timidités, réprimant là des vivacités imprudentes, toujours maître de lui-même et fidèle à son programme de fermeté modérée. Bientôt d’ailleurs il put se montrer en public ce qu’il était dans les salons. Jusqu’à la promulgation de la nouvelle loi sur la presse, le Globe n’avait pu aborder, la politique qu’indirectement, et à propos des questions philosophiques, législatives ou religieuses. Quand la liberté fut rendue aux journaux, il remplit les formalités légales et devint journal politique en même temps que philosophique et littéraire. Il ne sacrifia pourtant pas aux nécessités de la polémique les opinions qu’il représentait dans la presse, et il continua à revendiquer la liberté, même en faveur des jésuites. Dans cette nouvelle phase, M. de Rémusat, par l’étendue de ses connaissances, par la souplesse de son talent, devint le plus précieux des auxiliaires du journal. Au milieu des controverses quotidiennes auxquelles il prenait part, il conservait d’ailleurs son impartialité, et tout en étant sévère pour les fautes du ministère il ne dissimulait pas celles de la gauche. Il inclinait visiblement vers une transaction qui, réconciliant la dynastie avec les idées libérales, eût écarté toute chance de révolution. C’est seulement au moment de la rupture de la gauche et du ministère, à propos de la loi départementale, que, d’accord avec ses amis, il prit résolument son parti, et dénonça le ministère comme incapable d’accomplir sa tâche. Néanmoins il ne désespérait pas d’un rapprochement, quand le roi Charles X congédia ses ministres et les remplaça par M. de Polignac. C’était une déclaration de guerre audacieuse à la révolution, et à partir de ce jour M. de Rémusat, acceptant le défi, ne garda plus aucun ménagement. Dès le lendemain de la constitution du nouveau cabinet, il offrait l’exemple de Hampden à l’imitation des libéraux français, et il exprimait l’espoir que cet exemple serait suivi.

Personne n’ignore la conséquence de cet acte insensé de la cour, l’adresse des deux cent vingt et un, la dissolution de la chambre, l’élection d’une chambre nouvelle plus hostile encore au ministère