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monde les services que ce grand ministre a rendus à la puissance et à l’unité de la France, il n’hésite pas à se séparer des historiens qui amnistient en faveur du but la violence et l’iniquité des moyens. Sur le but même, il a des doutes, surtout en ce qui touche à la politique intérieure de Richelieu, et il n’admet pas « qu’une nation doive se trouver heureuse et reconnaissante lorsqu’elle voit ses intérêts sauvés aux dépens de ses droits, lorsqu’elle échange le désordre contre la servitude. » Selon lui, « une pareille politique pervertit profondément le sens moral des nations, enhardit au mal les partis et les pouvoirs à venir, corrompt d’avance jusqu’aux révolutions futures. » Il n’est pas loin de dire avec Montesquieu que « les plus méchans citoyens de France furent Richelieu et Louvois, » et il les accuse d’avoir, en créant la monarchie absolue, préparé les excès de la révolution.

Je pourrais m’arrêter ici; mais ce que M. de Rémusat disait de M. Cousin à l’Académie, on peut le dire de lui-même. On n’aurait eu de lui qu’une idée incomplète, si on s’était contenté de le lire. Il fallait l’entendre dans un salon, saisissant au vol tous les sujets de conversation, depuis les plus légers jusqu’aux plus graves, et leur donnant à tous le tour ingénieux et brillant qui lui était propre. On était ébloui par la nouveauté des aperçus, par l’originalité des rapprochemens, par l’imprévu des saillies, par la finesse des traits, par la sûreté du bon sens, par la vigueur et la justesse d’une dialectique acérée, mais courtoise et qui accablait ses contradicteurs sans avoir l’air de les toucher. Il causait sans éclat de voix, sans gestes, sans apprêt, sans rien de cette mise en scène qu’aiment parfois les causeurs célèbres, du ton d’un homme qui pense à haute voix. Il était quelquefois difficile pour ceux qui le connaissaient mal de démêler, à l’expression de son visage et à l’accent de sa parole, s’il voulait plaisanter ou parler sérieusement. Railleur sans méchanceté, caustique et indulgent, M. de Rémusat employait souvent l’arme de l’ironie, tout en se défendant d’enfoncer le dard trop avant. Profondément sensible au ridicule, comme tous les esprits justes et fins, merveilleusement prompt à le saisir et à l’exprimer, il n’en restait pas moins équitable pour ceux aux dépens desquels il égayait parfois sa verve railleuse. Il excusait même, en les expliquant, les erreurs et les petitesses des autres, et l’on était souvent étonné de lui voir prendre avec ardeur la défense de ses adversaires contre des critiques passionnées et injustes. Il n’était impitoyable que pour les actions basses et les doctrines malhonnêtes. Au fond, personne n’avait le sens de l’admiration plus vif que ce prétendu sceptique; personne n’apportait une plus grande chaleur de cœur dans toutes les questions qui touchaient à la morale et à la destinée humaine, sous toutes les formes. Si par hasard, au