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Avec le scrutin de liste, il y en a une bien autrement grave qui atteint l’essence même du droit individuel de suffrage. Comment explique-t-on que l’électeur de Paris ou de Lille nomme trente ou vingt députés et qu’un électeur des Alpes-Maritimes ou de tout autre petit département ne participe qu’à la nomination de trois ou quatre représentans ? Est-ce que le droit n’est pas le même pour tous ? Est-ce qu’il peut varier suivant les latitudes et dépendre du hasard qui fait naître un citoyen français aux bords de la Méditerranée, dans les Alpes ou dans un faubourg de Paris ?

Voilà, si nous ne nous trompons, une inégalité bien autrement choquante créée par le scrutin de liste, et même en acceptant une transaction, comme il en a laissé entrevoir le désir, M. Ricard pense-t-il qu’il échapperait à toutes les anomalies ? Il y en aurait toujours. L’essentiel est que l’intégrité du droit subsiste, et elle est bien lorsque tous les électeurs ont un seul député à nommer dans leur arrondissement que lorsqu’il y a des Français concourant à la nationale dans une proportion différente selon le hasard de la naissance ou de la résidence. Si l’on veut atteindre à une égalité complète, M. Dufaure l’a dit avec un bon sens supérieur, il n’y a plus qu’à « faire de la France un échiquier sans tenir compte des administratives. » Si l’on prétend à la logique absolue, il faut arriver à l’unité de collège de M. É. de Girardin, et mieux encore l’idéal est toujours le plébiscite. Là, devant l’urne plébiscitaire, il plus ni départemens, ni arrondissemens, ni villes, ni campagnes ; tous les électeurs sont parfaitement égaux, chacun arrive avec son bulletin, un oui ou un non, et tout est fini. C’est là qu’on en vient en jouant avec des chiffres et avec des chimères d’égalité absolue des suffrages. Dès qu’on rentre dans la pratique, il faut bien en revenir à tenir compte de la réalité, de la diversité des intérêts et des habitudes, des traditions, des circonscriptions établies, et une fois cette voie, quelle raison y a-t-il de ne point aller jusqu’au bout, de cet amalgame d’une liste départementale à l’élection plus vraie, plus sincère de l’arrondissement, où entre l’électeur et l’élu peut se une sorte de lien naturel, permanent ?

Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que parmi ceux-là mêmes qui viennent de former cette minorité de 326 voix en faveur du scrutin de liste, il en est qui la veille encore n’étaient rien moins que convaincus et ne cachaient pas leurs doutes. Ils ont obéi à des mobiles assez divers et assez complexes. Les uns ont paru craindre que le scrutin d’arrondissement, qu’ils considéraient au fond comme le système le plus et le plus régulier, n’eût pour effet de diminuer le prestige et la morale des assemblées en localisant l’élection, d’amortir la vie La crainte est singulière à l’heure où nous sommes. Quoi donc ! est-ce