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lui qui le dit, ce n’est pas nous qui le disons, nous n’aurions pas être aussi sévères.

Si M. Gambetta, qui met dans ses jugemens tant de jovialité et surtout tant d’à-propos, daignait consulter quelques-uns des républicains les plus sérieux et les plus sincères, ceux-ci lui répondraient que, s’ils avaient ce pouvoir, qui n’appartient à personne, de refaire le passé, ils consentiraient volontiers à revenir au 23 février 1848 et à s’arrêter là. M. Gambetta lui-même, avec un peu de réflexion, se demanderait ce qu’elle a produit, cette révolution ; il suivrait du regard cet enchaînement de catastrophes où depuis ce jour sont allées s’abîmer la liberté, la puissance, la gloire, l’intégrité de France, et peut-être lui aussi s’arrêterait-il devant cette dernière qui ne prête pas à rire, qui est la rançon plus que suffisante de « l’agitation des fourchettes ! » Le centre droit était sans doute jour décidé d’avance dans son vote. S’il y avait quelques membres ayant encore de l’hésitation, on conviendra qu’après ce qu’ils venaient ils ont dû sans façon dire avec M. Dufaure à la gauche : « Fort bien, ne comptez pas sur nous ! » M. Gambetta ne s’est pas borné à cette brillante sortie, il a couronné sa stratégie en demandant d’un ton un peu honteux le scrutin secret, — sans doute pour offrir à ces membres du centre droit, qu’il venait de traiter si bien, une occasion de montrer qu’ils n’avaient point de rancune en votant clandestinement pour le scrutin de liste ! Le secret du vote a-t-il eu réellement quelque influence sur le résultat ? Il n’est point impossible que ce peu moral n’ait été aussi peu habile et qu’au lieu des défections qu’on attendait en faveur du scrutin de liste il n’y ait eu des en faveur du scrutin d’arrondissement. Voilà tout ce qu’on aura gagné par cette spéculation sur la faiblesse des hommes, sur « le sort équivoque fait au parlement. » C’était assurément la plus triste manière d’aller à un échec, et si M. Gambetta se figure encore avoir pulvérisé de son éloquence M. le garde des sceaux, qui, à vrai dire, n’avait pas trop l’air d’un homme foudroyé, il s’est exposé quant à lui à rester sous le poids de cette parole, par laquelle M. Dufaure a commencé et terminé son discours : « on ne se soustrait pas à la responsabilité par une demande de scrutin secret. » Par le fait, M. Gambetta n’a réussi qu’à compléter la défaite du vote par la défaite morale qui s’attache à un calcul trompé, à une tactique déjouée. La question a été tranchée et bien tranchée dans les conditions de scrutin choisies par la gauche elle-même. Que veut-on de plus ?

Et maintenant voilà une affaire réglée. La solution d’une question qui depuis quelque temps tenait les esprits dans une certaine attente a nécessairement des conséquences que la tactique de la gauche a rendues peut-être plus décisives qu’elles ne l’auraient été, si on avait agi