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tout de suite son instruction religieuse, me parlant de Dieu, de la création du monde en sept jours, d’Adam et d’Eve, etc., etc.

Le grand-père, pendant la leçon, se promenait derrière nous de long en large, la tête penchée, les mains croisées sur le dos, écoutant d’un air rêveur, sans desserrer les lèvres. À la fin du premier chapitre, M. Brandhorst me fit répéter ses explications, pour voir si j’avais bien compris ; il parut charmé de ma bonne mémoire, puis en me félicitant, ainsi que M. le baron, il se leva, remit son manteau et nous salua très profondément. Le grand-père l’accompagna jusque sur la porte ; il descendit seul l’escalier, et du haut de la rampe je le regardai remonter en voiture.

Cela se renouvela de la sorte durant quinze jours ou trois semaines. Le grand-père écoutait toujours sans rien dire. Nous en étions arrivés, après la lecture de l’ancienne loi, de l’histoire des Juges, des Rois, de la Chronique et des Prophètes, à la mission du Christ, enseignant l’égalité des hommes devant Dieu, les déclarant tous frères, leur prescrivant le pardon des injures, leur ordonnant de tendre la joue gauche, quand on leur avait frappé la droite,… et M. Brandhorst s’animait sur cette haute morale, s’exprimant d’une façon fort éloquente, lorsque le grand-père, jusqu’alors simple auditeur, s’arrêta tout à coup et prit la parole. — Tout cela, monsieur le pasteur, dit-il d’un ton net, est fort bien pour les bourgeois, les ouvriers et les paysans que vous rencontrez au village… Oui, vous faites très bien de leur prêcher cette morale, de leur dire de se soumettre à la volonté des supérieurs, de recevoir les coups sans les rendre, et de compter sur la vie éternelle en récompense de leur résignation ; c’est fort juste et fort utile. Mais autre chose est de parler à des gueux, descendans de serfs, destinés de père en fils à l’obéissance, et de parler à des nobles, descendans de nobles, destinés au commandement. Voilà ce que vous devriez bien expliquer et faire ressortir au jeune baron Siegfried von Maindorf, afin de l’initier à ses devoirs, car chaque instruction, pour être bonne, utile et vraie, doit s’adapter à l’état des personnes ; les points de vue changent, quand l’état change, un aigle en train de planer ne voit pas l’herbe des champs du même œil qu’un âne qui broute !

M. Brandhorst, tout surpris, ne répondait rien, et le grand-père continua : — Remarquez bien, monsieur le pasteur, que l’église n’a jamais pratiqué le pardon des injures, au contraire elle s’est toujours montrée impitoyable envers ses ennemis ; elle les a proscrits, torturés, brûlés, détruits dans ce monde et damnés dans l’autre, chaque fois qu’elle en a eu le pouvoir. Son exemple doit nous servir de règle ! — Et maintenant, pour en revenir à l’histoire sainte proprement dite, je vous ferai observer que tous vos patriarches et vos