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fin gazon fait la joie des joueurs de crochet ; d’autres, en passant par les mains de lord Pomfret, sont arrivés à l’université d’Oxford. Le cabinet de camées et d’intailles est aujourd’hui en la possession du duc de Marlborough. Le Musée-Britannique n’a donc hérité que d’une bien faible partie des objets rassemblés par le comte d’Arundel ; mais le nom de ce personnage n’en mérite pas moins d’être cité à côté de celui de sir Robert Cotton. C’étaient presque des contemporains ; le comte, né en 1578, avait quelques années de moins. Tous les deux tirèrent de leur rang et de leur fortune à peu près le même parti ; mais, tandis que Cotton était surtout préoccupé des antiquités nationales et ne quitta jamais l’Angleterre, son noble émule passa une partie de sa vie sur le continent, et, s’il acquit bien aussi parfois des livres et des manuscrits, il rechercha surtout les statues, les pierres gravées, les tableaux, les œuvres enfin de l’antiquité grecque ou de la renaissance italienne. L’ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, sir Thomas Roe, était chargé de faire pour lui des achats de marbres ; il surveillait un agent énergique et habile que le comte entretenait en Orient. Cet agent fouillait les bibliothèques des couvens, parcourait la Morée et visitait toutes les îles de l’Archipel ; c’est ce dont témoigne une correspondance encore existante[1]. D’autres personnes exploraient l’Italie, l’Allemagne et les Flandres. Arundel-house à Londres était ainsi devenu une sorte de musée : le propriétaire n’était pas moins empressé à l’ouvrir qu’il n’avait été prodigue à le former.

Chassé d’Angleterre par la révolution, lord Arundel mourut en 1646 à Padoue. Par malheur, ses descendans immédiats n’héritèrent pas de ses goûts et n’entretinrent même pas la collection ; ils en laissèrent périr une partie. Ceci prouve combien étaient encore rares alors, jusque dans les rangs de la plus haute noblesse, ce sentiment éclairé du beau, ces curiosités de l’archéologue et de l’artiste. On n’en doit être que plus reconnaissant à qui fraya la voie et donna l’exemple avec tant d’éclat. Le comte d’Arundel fit école. A lui commence la lignée de ces nobles amateurs qui ont employé les ressources de fortunes princières à enlever du continent et à grouper dans les châteaux de la Grande-Bretagne ces trésors d’art

  1. M. Schlieman se trouverait là un prédécesseur qu’il ignore sans doute, lui qui a cru mettre la main sur le trésor de Priam. Voici ce qu’écrit De Roe en 1621 : « J’ai aussi une pierre, détachée de l’ancien palais de Priam à Troie, paillée en forme de corne ; mais je ne puis dire à quoi elle servait, et elle n’a pas d’autre beauté que son antiquité et le mérite d’appartenir bien réellement aux ruines de ce fameux édifice. Je n’aurais donc pas osé vous l’envoyer ; mais, profitant de l’occasion de ce messager, je la lui ai remise pour que votre seigneurie puisse la voir et la jeter ensuite,  » C’est sans doute d’Alexandria Troas, qui passait alors pour la Troie homérique, que provenait la pierre en question.