Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur la glèbe. Quand je pense à cette glorieuse époque féodale, où chaque chose était à sa place d’après l’ordre naturel, je ne puis m’empêcher de reconnaître que Luther, premier violateur de la discipline ecclésiastique qu’il avait juré d’observer, nous a fait un mal irréparable ; ses principes de libre discussion, de libre conscience, de droit pour chacun d’interpréter les livres saints à sa manière, sont le renversement du sens commun ; il est le père légitime des droits de l’homme, cet évangile monstrueux de la canaille. Le gueux avait eu l’adresse d’intéresser les puissans à sa cause en flattant leurs passions, en leur accordant toutes les permissions que le pape leur refusait, en approuvant leurs divorces, en bénissant leur troisième et quatrième mariage, en excitant leurs convoitises et sanctifiant le débordement de toutes leurs passions. C’était un rusé compère ; mais depuis la discipline est brisée. Alors la discipline morale avait tout soumis ; aujourd’hui la force est redevenue nécessaire ; on l’emploiera, et le peuple rentrera dans l’obéissance, il reconnaîtra de nouveau ses maîtres, la distance prodigieuse existant entre sa propre nature, infime et bornée, et celle du seigneur, destiné de tout temps à le tenir en bride. Seulement, pour atteindre à ce but, le premier devoir du clergé sera de nous seconder en tout ; il faudra que chacun reçoive l’instruction religieuse convenable à son rang. — J’ai dit ce que je pensais ; maintenant, monsieur le pasteur, continuez votre leçon et tâchez de vous conformer à mes intentions.

M. Brandhorst entra tout de suite dans les vues du grand-père ; il s’étendit sur la carrière de David, sur les exploits des Machabées ; il fut récompensé de ses soins convenablement, et quelque temps après, un dimanche, pendant l’office divin, le grand-père et moi nous nous rendîmes à cheval au temple de Vindland. Je reçus la confirmation, seul en présence des fidèles. M. le pasteur, à cette occasion, crut devoir prononcer une allocution touchante ; les bonnes femmes en pleurèrent d’attendrissement, après quoi, le service étant terminé, je mis un double frédéric d’or dans l’assiette du sacristain qui recevait les aumônes à la porte. Nous sortîmes sur la petite place, où Jacob Reiss tenait nos chevaux en main, et, nous étant remis en selle, nous repartîmes au galop pour notre résidence. Ainsi je devins chrétien réformé selon le désir du grand-père et les vieilles traditions de la Prusse.


III.

Cela fait, il n’en fut plus question, et le grand-père s’occupa de pousser vigoureusement mes études mathématiques, point essentiel