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points de vue que nous examinerons les questions soulevées par l’adresse des filateurs de Bolton, fortifiée des plaintes de l’industrie continentale. Nous dirons brièvement comment la culture du coton s’est implantée en Égypte, nous décrirons les tentatives faites pour l’introduction de sortes supérieures, les différens modes de production usités, et nous nous appliquerons particulièrement à rechercher et à dénoncer les causes de la décadence qui a été signalée.


II

L’Égypte d’aujourd’hui, eu égard à son développement plus agricole qu’industriel, aux fortunes grandioses qui s’y sont faites et qui s’étalent à côté de l’extrême misère des fellahs, est l’œuvre indirecte de la guerre de sécession, œuvre facilitée par un régime économique et administratif puisé aux traditions pharaoniennes les plus pures. La rébellion des états du sud, en arrêtant d’un coup l’exportation en Europe et la production du coton le plus nécessaire et le plus estimé, détermina en même temps une hausse dont le premier résultat fut, partout où le coton était cultivé et partout où il pouvait l’être, un développement d’efforts qui furent couronnés de succès divers. En ce qui concerne l’Égypte, la récolte de 1861, vendue environ 42 millions de francs, fut suivie d’autres qui jusqu’à la paix réalisèrent annuellement 187 millions de francs. Aujourd’hui le produit de ce chef, basé sur 1,650,000 quintaux en moyenne, s’élève à 144 millions de francs. Une pareille augmentation, presque spontanée, de la richesse publique et des ressources matérielles dans un pays agricole transforma complètement le régime économique de l’Égypte. C’est de cette crise historique que date le développement sérieux de la culture du coton dans la vallée du Nil. La grande demande et la liberté accordée aux Européens d’acheter dans l’intérieur les produits du pays, de traiter directement avec les fermiers et les propriétaires agriculteurs, ont fait ce miracle.

Sous Méhémet-Ali, la liberté du commerce n’existait pas. Le vice-roi était une manière de propriétaire de l’Égypte avec les fellahs pour fermiers. Le chef de l’état s’attribuait dans chaque province des villages entiers, véritables districts qu’il faisait cultiver pour son compte et qu’on nomme shiffliks. Quelques dignitaires, d’anciens camarades de Méhémet-Ali, sortis comme lui d’un escadron de bachi-bozouks albanais, avaient reçu des abadiehs, terrains exempts de droits, ou des villages entiers qu’ils cultivaient en ogda, c’est-à-dire en assumant sur eux la charge de l’impôt, et dont ils étaient en quelque sorte les propriétaires. Enfin le reste de la terre occupée et arable, c’est-à-dire arrosable par canaux ou sakiehs, était dans les mains des populations décimées par la