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la paternité et la répression sévère de la séduction étaient en vigueur sous l’ancien régime. L’abandon des enfans aux soins paternels de l’état date d’une époque bien plus reculée encore. Le mariage et la paternité légale sont relativement modernes. Il y a eu dans l’histoire de l’humanité une très longue période dans laquelle le mariage était inconnu, et de nos jours encore en Australie, aux îles Mariannes, aux Fidji, les indigènes ne reconnaissent aucun lien de parenté entre le père et le fils[1]. C’est la mère qui se charge seule des enfans avec l’assistance de la tribu, autrement dit de l’état. Voilà où nous ramènent les théories et les solutions progressives de M. Dumas, mais faut-il s’en étonner ? Les réformateurs qui ont fait depuis Rousseau le plus de bruit dans le monde ont-ils trouvé mieux que le communisme et la promiscuité des sexes ?


II

Il y a un siècle, la question de la recherche de la paternité occupait les esprits comme elle les occupe encore aujourd’hui : seulement c’était dans un sens précisément opposé. L’ancien droit coutumier accordait pleinement la recherche de la paternité, et il mettait même au service des victimes de là séduction un arsenal de pénalités et une provision d’indemnités bien propres à faire reculer les don Juan les plus téméraires. Une fille séduite pouvait intenter à son séducteur une action criminelle dite plainte en gravidation, si la séduction avait produit toutes ses conséquences, elle pouvait joindre à l’action criminelle une action civile, et se faire allouer, outre le remboursement des frais de gésine, une prestation d’alimens pour l’enfant. Enfin, sa déclaration faite dans les douleurs était acceptée comme parole d’Évangile en vertu de la maxime : crediter virgini parturienti. Malheureusement les victimes de la séduction ne se montrèrent pas toujours dignes de la confiance de la justice : abusant de la foi due à leurs déclarations, elles mirent en cause des innocens, quelquefois même à l’instigation des coupables. Cet abus paraît avoir été croissant avec la corruption des mœurs, et il finit par rendre horriblement précaire la sécurité des plus honnêtes gens. Dans un discours qui eut un immense retentissement, l’avocat-général Servan mit à nu cette plaie et conclut en demandant sinon l’interdiction de la recherche de la paternité, du moins l’abandon d’une maxime faite pour protéger les défaillances de la vertu et qui tournait au profit du vice[2].

  1. Giraud-Teulon, les Origines de la famille.
  2. Ce discours a été reproduit par M. Emile Accolas dans son livre intitulé l’Enfant né hors mariage.