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emporter l’égalité en matière de succession accordée aux enfans naturels, et les récompenses publiques si judicieusement allouées aux filles-mères, sans restituer aux uns et aux autres le bénéfice de la recherche de la paternité. C’est dans la séance du 26 brumaire an X (17 novembre 1802) que la question fut portée au conseil d’état, en présence du premier consul. Plusieurs membres, Cambacérès, Boulay, Defermon, Tronchet, Malleville et le premier consul lui-même prirent part à la discussion ; mais, sauf Defermon, qui présenta une observation timide en faveur d’une allocation de dommages-intérêts à la femme et à l’enfant délaissés, tous les membres furent d’accord sur la nécessité d’interdire la recherche de la paternité. Il n’y eut d’objections que pour le rapt et le viol. On admit pour le cas d’enlèvement l’exception qui a été formulée dans le second paragraphe de l’article 340 du code, et quelques membres voulaient étendre cette exception au cas de viol. Le premier consul s’y opposa en invoquant les principes. « La loi doit punir, dit-il, l’individu qui s’est rendu coupable de viol ; mais elle ne doit pas aller plus loin. » Il résumait d’ailleurs de la façon péremptoire qui lui était propre son opinion sur la question soumise au conseil en déclarant que « la société n’a pas intérêt à ce que les bâtards soient reconnus[1]. » Personne ne s’avisa de répliquer. L’ex-rapporteur de la loi de brumaire, Cambacérès lui-même, se tut ; la question était vidée, et le premier paragraphe de l’article 340 du code civil fut rédigé en ces termes simples et formels : « la recherche de la paternité est interdite. »


III

L’ancien droit anglais admettait, comme le vieux droit français, la recherche de la paternité, et il autorisait même dans cette recherche une rigueur peu encourageante pour les émules de Lovelace. Lorsqu’une femme ayant conçu hors mariage désignait sous serment le père de son enfant, le juge commençait par délivrer contre l’individu dénoncé une ordonnance d’arrestation, en vertu de laquelle il était retenu en prison jusqu’à ce qu’il eût fourni une caution suffisante pour subvenir aux frais d’entretien de l’enfant ; en outre il était tenu de comparaître à la prochaine session des assises pour discuter et plaider sa cause. Quant à la mère, elle n’était tenue que subsidiairement, c’est-à-dire à défaut du père, à supporter le poids de sa faute. Si le père et la mère se sauvaient de

  1. Procès-verbaux du conseil d’état.