Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/641

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tumuli et composés de terre et de gazon que les peuples barbares, élevaient jadis à leurs chefs et à leurs guerriers fameux. Un Grec des vieux âges y aurait vu sans trop d’efforts d’imagination un antique champ de bataille où quelque peuple de titans avait trouvé sa sépulture après y avoir sans doute trouvé la défaite. De cette quantité et de cette inégalité d’éminences qui se superposer les unes aux autres sans cependant se dominer, il résulte une illusion qui à certaines heures et surtout vers le soir a sa grandeur et sa beauté. Ces élévations ne formant nulle part aucune de ces formidables murailles aux fortes arêtes qui le circonscrivent despotiquement, l’horizon reste fluide, et l’œil plonge, pour ainsi dire, dans une mer de montagnes non-seulement aussi bleue et aussi brumeuse, mais aussi mouvante et moutonnante que la mer véritable. C’est une illusion bien connue, mais je doute qu’il se rencontre beaucoup de régions où elle soit à ce point identique à la réalité.

La ville toute moderne et tout industrielle de Tarare n’a rien qui puisse attirer bien fortement le curieux des choses de l’esprit, si ce n’est son nom singulier et pimpant qui rappelle le titre d’un conte d’Hamilton dont le héros n’a qu’à le prononcer pour qu’il lui arrive aussitôt les aventures les plus merveilleuses. Ne fût-ce qu’en souvenir de ce nom à l’influence malicieusement magique, nous aurions payé notre visite à cette ville, qui se trouvait d’ailleurs à nos portes. Dans les villages que nous traversons, chemin faisant, retentit partout le bruit, disons mieux, le heurt sec des métiers à tisser, et je retire de la conversation de mes hôtes quelques renseignemens sur la vie et les habitudes des populations ouvrières du Lyonnais. Ici, me dit-on, il y a presque autant de tisseurs qu’il y a de couteliers à Thiers, de chaudronniers à Saint-Flour, et de dentellières au Puy et dans les campagnes du Velay. L’ouvrier travaille isolément ou en famille ; les fabriques sont rares, et celui qui viendrait à Lyon par exemple pour y étudier les diverses opérations du tissage des étoffes de soie courrait risque de s’en retourner déçu, s’il ne s’adressait pas à ces intérieurs. Les moralistes de l’économie politique se plaisent à attribuer une influence corruptrice, à la vie en commun des manufactures ; cependant, si le peuple de Lyon est aussi perverti qu’on le dit par les doctrines pernicieuses, l’influence des manufactures n’y est certainement pour rien. Une particularité assez curieuse résultant de la nécessité du logement pour tant d’ouvriers exerçant tous la même industrie semblerait, il est vrai, compenser cette absence de manufactures. Les faubourgs de Lyon en effet se composent en grande partie de hautes maisons presque exclusivement occupées par des ménages d’ouvriers tisseurs ; mais ce rapprochement ne produit aucun travail