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L’offrande fut reçue avec grande joie, et l’appel retentit de tous côtés. En fait de poésie et d’art, il ne faut que réussir une bonne fois pour créer tout un courant d’idées, inspiration chez les uns, imitation chez les autres. M. Roumanille obtint ce succès-là du premier coup, et comme en toute occasion il continuait de chanter, ici un conte joyeux, là une élégie, comme il joignait d’ailleurs à cette œuvre de rénovation poétique un apostolat social et défendait les vieilles mœurs au milieu des fièvres de 1848, il devint bientôt le chef d’un travail d’esprit qui fut un véritable événement pour la Provence durant plusieurs années. L’essaim des poètes bourdonnait autour de la ruche. Employons une image plus locale encore, ce fut une vraie farandole comme dans les fêtes populaires de ces contrées du soleil. Petits et grands jeunes et vieux, se tenaient par la main dans une ronde immense et s’entraînaient l’un l’autre aux sons du tambourin. Tous ces chants de provenance si diverse, il fallut bientôt les rassembler pour en montrer l’unité bienfaisante et la signification sérieuse. M. Roumanille fut naturellement l’éditeur de ce recueil. Il avait été le premier chef d’orchestre, il devait continuer de diriger l’œuvre commune jusqu’au jour où des talens originaux prendraient librement leur essor. Celui-qui écrit ces lignes fut invité à expliquer au public la portée de cette tentative, à en donner du moins le commentaire patriotique et moral, car, en ce qui concerne la langue même des écrivains provençaux, il était trop peu qualifié pour en parler avec compétence ; il traça donc une introduction qui essayait en même temps d’être un programme, une exhortation, une sorte d’engagement pour la direction à suivre, et ce n’est pas là un des moins précieux souvenirs de sa vie littéraire. Ainsi parut en 1852 le volume intitulé li Prouvençalo.

Parmi les jeunes chanteurs qui se pressaient autour de M. Roumanille, le maître en avait remarqué un qui se nommait Frédéric Mistral. Il était âgé alors de vingt et un ans. Paysan, fils de paysans, Frédéric Mistral avait été dans les collèges, comme disent les bonnes gens de la campagne ; à cette date, il était bachelier ès-lettres, et, s’il n’avait pas encore terminé son droit, il s’en fallait de bien peu. Les collèges ne lui avaient pas fait oublier ses premiers maîtres ; il était bien l’enfant du sillon, l’élève des laboureurs et le compagnon des pâtres. Quand les chants de Joseph Roumanille réveillèrent la poésie provençale de son engourdissement séculaire, la Belle au bois dormant prit bien des aspects différens selon les foyers qu’elle visitait. Ce fut une poésie rustique, une poésie franche et robuste qui éclata sur les lèvres de Frédéric Mistral. Il eut l’ambition d’écrire les géorgiques de son pays. Virgile, Homère, Hésiode, s’associaient dans sa pensée aux scènes qui avaient enchanté