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par un idiome qui depuis six cents ans a disparu du champ de bataille des idées et qui, réduit aux choses de la vie commune, n’a pu être, comme l’autre, mille fois trempé et retrempé dans la fournaise ! Je rappelais à M. Mistral la lettre que Voltaire, en un débat du même genre, avait écrite à un apologiste trop enthousiaste du parler italien, M. Deodati de Tovazzi. Je lui rappelais avec quelle verve André Chénier, dans un de ses poèmes, avait développé les argumens de Voltaire. Il y avait même tel et tel vers, dans la vive apostrophe de Chénier, qui semblaient directement à l’adresse de M. Mistral ; le poétique novateur de la fin du dernier siècle ne permettait pas qu’on accusât dans une préface l’indigence de notre langue, et quand il s’agissait de venger ce bel idiome, sa colère ne ménageait rien. Sans se rendre à toutes nos raisons, M. Mistral sentit qu’il faisait fausse route. Avec ces franches natures, il n’est rien de tel que de parler franc. C’était le moment où Lamartine le comparait à Homère, où d’autres, qui n’avaient pas les mêmes excuses, s’exprimaient sur le même ton, sans tact, sans mesure, brouillant les ; choses entrevues de trop loin et ne soupçonnant pas quels intérêts se trouvaient en jeu. L’auteur de Mireille ne prit pas le change, il nous écrivit loyalement : « Vous avez, secoué le faux clinquant de mon succès pour n’en laisser briller que l’or pur. » Et dès la seconde édition de Mireille la préface disparut.

Cependant ce succès de Mireille, soutenu bientôt par la publication d’un autre grand poème, Calendal, œuvre d’imagination et d’art, pleine de tableaux hardis, et de sentimens héroïques, mettait en toute lumière la nouvelle poésie provençale. Les jeunes maîtres-chanteurs, si empressés déjà au premier appel de M. Roumanille, accouraient toujours plus nombreux. Au premier rang, comme un troisième chef, s’était placé M. Théodore Aubanel, l’auteur du Neuf thermidor, du Massacre des innocens et de la Grenade entrouverte. Nous ne citerons pas les autres, de peur de ne pas être complètement juste, c’est au public particulier du terroir de marquer les rangs et les distances. Disons seulement que, depuis le premier jour, cette poésie n’a jamais chômé, qu’elle n’a manqué à aucune fête du pays, qu’un almanach populaire très gai, très joyeux, très sensé, y forme désormais une vraie bibliothèque à l’usage du peuple des campagnes, et que l’éditeur de cette petite revue annuelle, M. Roumanille lui-même, pourrait bien quelquefois répéter en souriant les mots de Pline le Jeune : magnum proventum poetarum annus hic attulit.

Au milieu de ce travail, qui rappelait par instans le bourdonnement d’une ruche, il y avait parfois de bien touchans épisodes. Peu de temps après la publication de Calendal, des Espagnols chassés