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écrivant des phrases comme celles-ci : « Écoutez, ô gouvernans ! si hauts et puissans que vous soyez, sachez que la langue provençale est bien au-dessus de vous ! Sachez que nous sommes un grand peuple et qu’il n’est plus temps de nous mépriser ! Trente départemens parlent notre langue ; d’une mer à l’autre mer, des Pyrénées aux Alpes, des landes de la Crau aux plaines du Limousin, le même amour fait battre notre poitrine, l’amour de la terre natale et de la langue maternelle. Sachez que vous arrêterez plutôt le mistral quand il souffle et la Durance quand elle déborde que la langue provençale dans son triomphe. Sachez que vous serez tombés depuis longtemps, alors que le Provençal toujours jeune parlera encore de vous avec pitié[1] ! »

Voilà le délire qui commence. Il y a là d’ailleurs autant d’erreurs que de mots. M. Aubanel devrait se rappeler que la division des dialectes a été une cause d’affaiblissement et de ruine pour l’ancienne littérature provençale ; où est donc aujourd’hui, d’une mer à l’autre mer et du Limousin à la Crau, l’unité de langage dont il est si fier ? Il faut cultiver honnêtement son jardin et ne pas prétendre ainsi d’un trait de plume conquérir trente départemens qui ne veulent pas être conquis. Au contraire, c’est par tout le pays, c’est du midi au nord et de l’est à l’ouest, que règne dans le langage comme en toute chose l’unité nationale indestructible. Ah ! qu’il vaut mieux répéter avec M. Frédéric Mistral, sans aucune arrière-pensée : « Nous sommes de la grande France, franchement et loyalement ! » ou bien encore : « Il est bon d’être nombre, il est bon d’appartenir à une grande race, et, quand elle a parlé, de sentir passer sur les peuples un souffle de vie nouvelle ! » De quelle langue a-t-il dit cela ? De la langue qui nous est commune à tous.

Je veux en rester sur ces dernières paroles avec M. Frédéric Mistral. Ses lecteurs les plus sympathiques ont vu là un engagement. Qu’ils y demeurent fidèles lui et ses amis ; leur inspiration même y gagnera. Écrire modestement pour le foyer intime, se rattacher fortement au foyer commun, voilà en deux mots quel doit être leur programme : bouche provençale et cœur français. C’est alors qu’ils habiteront vraiment ces îles d’or signalées par le poète, humbles îles, humbles terres qu’illuminent parfois des rayons magnifiques et d’où l’on ne perd jamais de vue les rivages et le drapeau de la France.


SAINT-RENE TAILLANDIER.

  1. Voyez Discours de Teodor Aubanel président di Jo flourau tengu dins la vilo coumtalo de Fourcauquié pèr li festo de Nosto-Damo de Prouvènco (11-12-43-14 de setèmbre 1875), in-8o, Avignon.