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une condition de l’équilibre de l’Europe, après avoir fait, il y a vingt ans, la guerre de Crimée pour disputer au tsar la protection des chrétiens, après avoir fermé l’oreille aux propositions que l’empereur Nicolas faisait à sir Hamilton Seymour relativement à l’Égypte, l’Angleterre est la première à donner un signal qui peut devenir redoutable. C’est son intérêt, dira-t-on, elle ne peut pas livrer au hasard de toutes les compétitions un passage d’où dépendent ses communications avec l’Inde. Nous ne prétendons nullement que ce ne soit pas l’intérêt de l’Angleterre. C’est peut-être aussi d’une certaine façon un signe des progrès que fait le droit public en Europe.

Que va-t-il résulter de tout cela ? Si l’Angleterre s’est entendue avec les autres puissances, la difficulté est moins grave sans doute au point de vue de ce qui peut arriver immédiatement. Si elle n’a consulté que ses convenances et son audace pour déguiser sous la forme d’un contrat financier ce qui pourrait passer pour une expropriation graduelle de l’Égypte pour cause d’utilité britannique, il est possible qu’elle n’ait pas suffisamment calculé l’effet du grand coup qu’elle vient de frapper. Par crainte d’une crise qu’on aurait pu éviter encore, elle se serait exposée à précipiter la crise sérieuse et décisive. Ce qu’il y a d’étrange, c’est que cette question d’Orient, qu’on va chercher dans l’Herzégovine, en Bosnie, dans la Bulgarie, aille se réveiller en Égypte, où l’on croyait qu’il n’y avait que la convention sur la réforme judiciaire, soumise en ce moment à l’assemblée de Versailles.

À dire vrai, cette question de la réforme judiciaire égyptienne, sans être assurément dénuée d’importance, pâlit un peu aujourd’hui devant l’incident de Suez, et la commission parlementaire de Versailles, qui est depuis longtemps au travail, choisit peut-être singulièrement son heure pour proposer à l’assemblée de refuser la ratification de la France à une œuvre de nécessité. De quoi s’agit-il réellement ? Il y a en présence un intérêt égyptien et un intérêt étranger. L’objet essentiel de la réforme est de dégager un certain ordre du chaos judiciaire où l’Égypte a vécu si longtemps, et d’adapter l’ancien régime des capitulations aux exigences d’une situation immensément modifiée par le développement des intérêts modernes, surtout depuis que l’isthme est ouvert au commerce du monde. Les anciennes capitulations, legs de la vieille France, ne disparaissent pas, la juridiction consulaire est toujours applicable aux affaires entre sujets d’une même nationalité ; le point particulier et nouveau de la réforme est la création de tribunaux mixtes pour juger les procès entre Égyptiens et étrangers. Depuis huit ans déjà, depuis 1867 la question est engagée. Le gouvernement égyptien a proposé son programme judiciaire, des négociations ont été suivies avec les états intéressés, surtout avec les grandes puissances de l’Europe. Ces négociations ont abouti à un système définitif auquel dix-sept cabinets ont accédé, que le gouvernement français a fini par accepter à son tour avec