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bonne et ordonnée de Dieu. Non est culpanda scientia… bona est in se considerata et a Déo ordinata. » Ce qu’il condamne de son temps, c’est la mauvaise direction des facultés de l’esprit, l’aridité des abstractions, la stérilité de la scolastique : « O Dieu de vérité ! il m’ennuie souvent de lire et d’ouïr bien des choses. Que tous les docteurs se taisent. Vous seul, parlez à moi ! Taceant omnes doctores. Tu mihi loquere solus. » Enfin détaché, dépouillé de tout ce qui est extérieur et périssable, de toutes les sciences fausses qui détournent de la science vraie, l’homme de l’Imitation s’efforce de mourir à lui-même pour renaître en Dieu. Tel est, du premier au troisième livre, ce travail de régénération, ce renouvellement de la vie, ce passage de la sphère d’en bas à la sphère supérieure. Tout commence par le détachement successif, tout finit par le commerce de l’âme avec Dieu, exprimé en des dialogues d’une tendresse incomparable.

M. Caro, en historien consommé de la philosophie, a pris plaisir à montrer combien cette doctrine, au seul point de vue de la science psychologique, se distingue de toutes les théories morales qui l’ont précédée. Il admire certes autant que personne et le De officiis de Cicéron et l’Encheiridion d’Épictète ; quelle distance pourtant de la plus pure morale des anciens à cette conception si neuve, à cette pensée tout ensemble si humble et si audacieuse, qui descend au plus profond de notre âme pour y saisir un germe d’infini !

Craindra-t-on que de tels élans ne soient périlleux de nos jours et n’y affaiblissent le sens de la vie réelle ? « Pour moi, dit M. Caro, j’augurerais bien d’une société dans laquelle se répandrait le goût de pareilles méditations, où je verrais refleurir, avec l’idée du sacrifice, le sens du divin, le sentiment de la liberté intérieure, l’obéissance virile et volontaire à la règle, qui dans la vie civile s’appelle la loi, rattachement à la cellule agrandie qui s’appelle le foyer domestique, enfin les fortes vertus de la discipline qui rendent un peuple invincible, et tout un ensemble de croyances capables de lui refaire une conscience dans cette anarchie morale où le monde s’agite et se dissout. » Nous nous garderons bien de rien ajouter à de telles paroles. On a vu quel est le plan de cette noble étude ; il suffit d’en avoir indiqué l’esprit philosophique et les viriles conclusions pour inspirer le désir d’y regarder de plus près, Nul penseur sincère ne la lira sans profit.


SAINT-RENE TAILLANDIER.


L’Histoire de France racontée à mes petits-enfans, par M. Guizot, tome cinquième et dernier. Paris 1875. Hachette.


Quand ici même, voilà trois ans à peine[1], M. Vitet saluait l’apparition du premier volume de l’Histoire de France racontée à mes

  1. Voyez la Revue du 15 mai 1872.