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découvertes ni publié d’ouvrages, importans. Ils semblaient vivre frugalement des restes de leurs prédécesseurs, et se contentaient de traiter quelques questions de détail qui avaient été jusque-là négligées. C’est ainsi que Bouhier, en dehors de ses travaux de jurisprudence que je ne puis apprécier, ne composa guère que quelques dissertations d’histoire ou d’archéologie dont les sujets n’ont qu’une importance médiocre et qui manquent souvent de critiqué. On est très surpris par exemple de le voir le plus sérieusement du monde appliquer la chronologie aux légendes de la mythologie grecque ; il prétend fixer la date précise de la naissance d’Hercule ou de Bacchus, et vous dira sans sourire en quelle année exacte Hélène fut enlevée pour la première fois à sa famille et quand elle épousa Ménélas. Ces sortes de recherches étaient du goût de son temps et faisaient partie de ce qu’on appelait alors « la belle érudition. » Aussi les dissertations de Bouhier, où il traitait ces graves questions, furent-elles fort appréciées de tout le monde. D’ailleurs les érudits de profession, les pédans de collège étaient flattés de voir un personnage si important, l’un des premiers magistrats d’une cour souveraine, prendre part à leurs travaux et les honorer en s’y livrant. Bouhier, qui soignait sa réputation, ne négligeait aucune occasion de leur être utile. Il entretenait avec le monde entier un commerce de lettres et un échange de prévenances qui faisait de tous les savans de l’univers ses amis ou ses obligés. Ils le payaient libéralement en éloges ; on célébrait son nom dans toutes les langues, et c’est ainsi que, sans se donner beaucoup de peine, il obtint de l’accord unanime de tous les érudits, qui s’accordent si rarement ensemble, la gloire d’être l’un des plus savans hommes de son temps.

À cette renommée d’érudit qu’on lui accordait si aisément, Bouhier en ajouta bientôt une autre. On l’admirait sans contestation dans les académies ; il voulut se faire connaître dans les salons. Il a raconté qu’étant fort incommodé de la goutte, il imagina, pour se distraire et se soulager, de traduire en vers français quelques beaux passages des poètes latins. Ces vers, qu’il lisait volontiers à des gens d’esprit, furent bientôt fort répandus. Il mit quelque complaisance à se les laisser dérober, et ne fut sans doute pas trop mécontent de les voir publier par les libraires de Hollande. Il finit par les avouer tout à fait et en donna une édition fort soignée où la traduction est accompagnée au bas des pages de notes sommaires en faveur des gens qui veulent s’instruire, et suivie d’un commentaire fort détaillé pour les savans de profession, « en sorte, disait-il, que chacun était servi selon ses goûts. » Cette diversité aida beaucoup au succès de l’ouvrage ; les gens du monde furent