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ancienne du monde : Byblos a expié la supériorité de son caractère presque exclusivement religieux. Comme les autres villes de Canaan, elle n’a pas seulement disparu sous l’action dissolvante de l’hellénisme, par la conquête des musulmans et des croisés, par l’effet du génie iconoclaste des habitans ou d’un goût récent, souvent peu éclairé, pour les antiquités phéniciennes ; Byblos a servi de carrière pour les constructions modernes de Beyrouth ou d’Amschit, mais la vraie cause de son anéantissement a été le christianisme. C’est avec une sorte de fureur sacrée que les adorateurs de Jésus ont porté le marteau sur les temples d’Adonis et de Baalath, dont le culte avait refleuri avec un éclat incomparable au temps des Antonins. Les colonnes des temples, toutes brisées sans exception et brisées à dessein, se comptent encore par centaines. Il n’y a peut-être pas d’exemple d’une antiquité aussi complètement broyée. On sent que l’œuvre de destruction a été ici une œuvre pie et que la religion seule pouvait faire de telles ruines.

En dépit d’une totale substitution de races, de langues et de religion qui a eu lieu dans cette partie de la Syrie, parmi les Maronites, les Grecs, les Métualis, les Druses, les Musulmans, les Arabes et les Turcomans, on distingue encore les restes de l’ancienne race libaniote et giblite, race vive, éveillée, bonne, sensuelle, qui parfois présente des types qu’on croirait d’un autre monde. « J’ai vu une de ces femmes appartenant à une ancienne famille de la montagne, écrit M. Renan ; on eût dit Jézabel ressuscitée. Quoique jeune, elle était arrivée à une taille colossale. La beauté de ces femmes, incomparable durant un an ou deux, tourne très vite à l’obésité et à un développement de la gorge presque monstrueux. » Ces bonnes et simples populations, par une illusion fort commune dans l’histoire, sont convaincues à un point qu’on ne saurait imaginer d’avoir été chrétiennes dès les temps apostoliques ; toute conscience de leurs vieux cultes nationaux s’est évanouie, et elles ne se doutent même pas que leurs chapelles actuelles ont simplement succédé aux temples antiques. Le fin et judicieux voyageur les observa à loisir durant ses longues courses dans la montagne, alors qu’il copiait ces innombrables inscriptions d’Adrien semées dans toute la région du Haut-Liban, entre le Sannin et le col des cèdres, ainsi que dans la région moyenne de Toula jusqu’à Sémar-Gébeil. Bien que l’existence de ces inscriptions ait été connue de quelques voyageurs antérieurs, le curieux problème épigraphique qu’elles posent était presque resté inaperçu. Elles consistent toutes en la mention de l’empereur Adrien, imperalor Hadrianus Augustus, suivie de formules qui varient, mais dont voici la plus fréquente : arborum genera IV cetera privata. Dans quelle intention ces textes ont-ils été gravés, au nombre d’au moins huit cents, tantôt sur les sommets les