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d’observer l’accord qui persiste dans le fond du rituel. L’un et l’autre groupe de documens nous offrent le modèle des mêmes cérémonies, la même corporation de douze frères, et il n’est sans doute pas téméraire de penser que nous avons ici un double spécimen d’un même culte italiote. Les frères attidiens nous apparaissent à certains égards comme les frères arvales d’Iguvium.

Malgré leur aspect à première vue un peu étrange, les Tables eugubines se laissent donc ranger sans peine à une place bien définie dans l’histoire des religions de l’Italie ancienne. Elles complètent sur certains points, elles confirment sur d’autres ce que nous savions en cette matière; mais, quelle qu’en soit la valeur comme document archéologique, c’est surtout en linguistique qu’elles ont une importance capitale. Elles nous représentent à elles seules à peu près tout ce qui reste d’un antique idiome de l’Italie; on peut noter à ce propos une différence caractéristique dans l’histoire du latin et du grec. Tandis que la langue hellénique est parvenue jusqu’à nous, représentée par quatre dialectes principaux, sans compter une foule de variétés provinciales, le latin, faisant peu à peu le vide autour de lui, a partout étouffé ses frères, si bien que, sans quelques heureuses trouvailles, il aurait l’air d’être seul de son espèce. Cette extinction s’est produite graduellement : encore au temps de Titus on parlait osque à Pompéi, comme l’indiquent les inscriptions de cette ville; et les Tables eugubines sont la preuve qu’une corporation religieuse d’une ville de l’Ombrie a pu, longtemps après la conquête romaine, se servir de l’idiome indigène. L’influence de Rome se révèle seulement par quelques mots, comme le nom de kvestur (questeur), donné à l’un des magistrats de la confrérie, par la manière toute latine de marquer les chiffres, par la substitution sur les deux dernières tables des caractères latins aux caractères étrusques, qui étaient sans doute devenus d’un usage plus rare.

Quelle est donc l’idiome des Tables eugubines? Il ne peut y avoir à ce sujet aucun doute. C’est un proche parent du latin, un de ces idiomes italiques, à moitié romains, que Varron a heureusement caractérisés en les comparant à des arbres qui, plantés sur la limite de deux champs, font serpenter leurs racines des deux côtés de la borne. On devine dès lors l’intérêt qui s’attache à l’étude grammaticale de cette langue. Les faits que l’on constate sont de deux sortes. A certains égards, l’ombrien est déjà plus avancé que le latin dans la voie de l’altération : il peut jusqu’à un certain point être considéré comme un avant-coureur des langues romanes. A d’autres égards, il est resté, comme cela arrive assez souvent aux patois, plus archaïque que le latin, et il a conservé des mots et des