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Les fiançailles sont abrégées, la lune de miel se passe dans une auberge où, comme en Amérique, des chambres nuptiales sont réservées aux couples voyageurs. Voilà ce qu’est devenu l’amour allemand. N’importe, on s’aime encore ! La longue et tendre liaison de Plant et de Marie Peneke suffit à le prouver. Ils ne peuvent songer au mariage, étant trop pauvres, mais Wolfgang procure à son ancien camarade une place de secrétaire-intendant chez ses nobles protecteurs, les Bärnburg. L’obstacle est levé, ou plutôt il le serait sans un fâcheux accident qui vient compromettre Marie aux yeux de toute la ville. Sa mère ne se borne pas à vendre de la friperie, elle loue des chambres meublées, et l’hôte d’une de ces chambres est le beau Knith, qui fuit ses créanciers. Forcé de se cacher, il s’ennuie en son gîte et fait naturellement la cour, pour passer le temps, à la jeune fille, qui lui résiste de son mieux ; mais, au milieu d’une orgie, excité par les hussards ses camarades, il tente de ravir par la violence ce qu’il n’a pu obtenir autrement. Le fripier Peneke vient au secours de sa fille et reçoit un coup d’épée mortel. Grand scandale, cela va sans dire ; mais la police disperse les rassemblemens, les journaux indiscrets sont confisqués, et le dernier écho de ce drame va s’éteindre dans les tavernes. Il est vrai que Knith a été mis aux arrêts. Cet Adonis en sera quitte pour trois mois de forteresse ; la vie d’un bourgeois ne vaut pas davantage. On l’engage cependant à donner sa démission, et voilà le bel officier sans emploi, réduit aux expédiens pour vivre. Le jeu lui viendra en aide, puis un mariage ; il épousera plus tard la baronne Julie, dont son ancienne maîtresse, Mme de Bärnburg, est tutrice, et, ayant ruiné sa femme, il voudra la vendre à la fin. Trop faible pour résister au torrent qui l’entraîne, trop fière encore pour y céder, la malheureuse cherchera un refuge dans le suicide contre son indigne mari et contre elle-même. — Ce sont là des tableaux de débauche, peints avec une crudité choquante ; l’auteur le sent lui-même, puisque, arrivé à ce point de son œuvre, il évoque pour s’excuser l’exemple de M. Alexandre Dumas fils et les prétendus droits du roman, la seule forme de littérature qui permette de tout dire et à laquelle, pour cette raison, tous les talens sacrifient de nos jours. « Bret Harte et Tourguénef, assure-t-il, auraient, il y a cinquante ans, écrit des poèmes épiques ; Homère et Dante publieraient aujourd’hui des romans. » Ce paradoxe est hardi jusqu’à l’extravagance. On peut supposer en tout cas que l’idéal n’eût point manqué aux romans du Dante, et qu’il aurait su dans la peinture de la vérité ne jamais descendre jusqu’aux vulgarités de la photographie. Toute notre estime pour l’auteur du Don Juan de Kolomea ne nous empêchera pas de reconnaître qu’il ait imité cette fois, non pas les grands romanciers de France et d’Angleterre, auxquels il rend un juste