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craignaient que le prince n’exigeât d’eux un changement de croyance, mais l’électeur n’y songeait guère. C’est par politique qu’il était passé au calvinisme, car il avait voulu se concilier l’amitié des Provinces-Unies, dont il avait besoin pour l’affaire de la succession de Juliers. Il était, à peu de chose près, libre penseur, et se contenta de défendre aux prédicateurs des deux sectes de s’insulter réciproquement en chaire. Il essaya même de réunir les deux confessions en une église nationale pour le plus grand profit de son autorité. Il n’y réussit pas ; mais la tolérance fit sous son règne de tels progrès qu’on vit des pasteurs luthériens ordonner des pasteurs calvinistes sans que personne criât au scandale.

Quelle différence entre cette conduite et celle des autres princes de l’Allemagne ! Ce n’était point pour conquérir la liberté de conscience que les peuples allemands avaient tant combattu et tant souffert : à la paix d’Augsbourg, les luthériens s’étaient entendus avec les catholiques pour ne rien stipuler en faveur des calvinistes ; ceux-ci gagnèrent, au traité de Westphalie, le droit d’exister qui leur avait été refusé jusque-là, mais à leur tour ils ne daignèrent pas assurer la liberté aux autres sectes de la réforme. Encore la faculté d’être catholique, luthérien ou calviniste n’était-elle reconnue qu’aux princes, et l’article 30 du traité stipulait que chaque prince, « suivant la pratique usitée déjà dans l’empire, aurait le droit de réformer la religion de ses sujets, et que les sujets, de leur côté, s’ils ne voulaient pas se ranger à la religion de leur prince, auraient le droit d’émigrer. » Or les princes et les sujets usèrent à l’envi de leurs droits. Il se fit dans l’Allemagne entière un grand mouvement de peuples : des milliers d’hommes se mirent à la recherche d’une nouvelle patrie, le bâton d’exilé à la main, car il y avait de véritables bâtons d’exilés : des règlemens princiers en déterminaient la longueur et la forme, et, avant de les délivrer aux expulsés, on y gravait des inscriptions. Beaucoup ont été recueillies, et il y en a de curieuses, par exemple celle du bâton d’un Bohémien expulsé pour avoir dit que « personne n’a le droit de commander à la conscience. »

La plupart de ces migrations partirent du sud et de l’ouest, et prirent la direction de l’est. Un seul pays les y pouvait attirer. Ce n’était point l’Autriche, car elle était l’instrument de la contre-ré-formation catholique. Ce n’était pas la Saxe : le prince et le peuple y étaient confits en dévotion luthérienne, et l’on y enseignait que les calvinistes pensaient en vingt-trois points comme les ariens, et en soixante-sept comme les Turcs. C’était le Brandebourg, dont les princes, calvinistes au milieu de sujets luthériens, pouvaient recevoir à la fois et les luthériens expulsés par les calvinistes, et les calvinistes expulsés par les luthériens. Les électeurs avaient fait