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sont au premier rang des choses qui réussissent d’abord et qui réussissent ensuite par cela seul qu’elles ont réussi. Le moyen âge ne s’y est pourtant pas trompé. Tandis que son poète prend pour guide aux régions mystiques l’idéaliste et divin Virgile : Virgilio dolcissimo padre ! ses moines vilipendent Horace, l’appelant un pourceau d’Épicure, et fulminant contre ses lieux-communs de morale lubrique ; puis vient la réaction avec le XVIe siècle mythologique et artiste, — les Ronsard, les Belleau, tous les Cellinis de l’ode et de l’odelette, — comme avec le classique et sentencieux XVIIe siècle. Que serait Boileau sans Horace ? Il lui prend tout, moins la grâce légère et l’attrait piquant. L’art poétique des Latins se codifie à l’usage de notre Parnasse français, et nous faisons connaissance avec ce genre de satire aimable qui va s’inspirant, non plus des haines vigoureuses, mais de toute sorte de petits contre-temps de la vie ordinaire : un fâcheux qu’on rencontre et qui ne vous lâche plus, un mauvais dîner auquel on vous invite, un voyage de Rome à Brindes ; le poète satirique, qu’on se représente généralement comme un accusateur public, y dépose ses foudres et devient un simple humoriste. À la vérité, sous cet enjouement se retrouve parfois bien du sarcasme, la pièce sur la mort de Tigellius par exemple n’en a pas moins sa valeur satirique ; si ce n’est là du Juvénal, c’est de l’Aristophane, de la comédie excellente et de tous les temps :


Omnibus hoc vitium est cantoribus.


Aujourd’hui encore le portrait palpite d’actualité, et si frappante est la ressemblance que vous nommeriez tout de suite tel chanteur dont les vaniteuses incartades agaçaient naguère le public parisien. Qu’importe ce que pensent de lui les Tigellius, les Pantelius et les Démétrius ? Il n’en veut qu’à l’opinion des esprits cultivés, supérieurs : les Mécène, les Octave, les Virgile, les Messala, les Pollion, les Servius, à la bonne heure ! avec ceux-là du moins on n’en est pas réduit à n’avoir pour sujet de conversation que des comédiens et des danseurs ; l’entretien s’élève, on touche aux questions de philosophie et de morale. « Ô nuits, ô soupers des dieux ! la causerie commence non à propos des villas ou des maisons d’autrui, ni pour savoir si Lepos danse bien ou mal, mais nous dissertons de ce qu’il n’est point permis d’ignorer : est-ce dans les richesses ou dans la vertu que réside le bonheur ? est-ce l’intérêt ou l’honnêteté qui resserre les nœuds de l’amitié ? quelle est la nature, quel est le but du bien ? » La Grèce le tient, le possède tout entier, vous saisissez dans ces beaux vers comme un écho des banquets de la grande période athénienne, de ces symposions où siégeaient les Périclès, les Socrate, les Anaxagore, les Phidias, les Ichtinus, et que