Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

partir devant le tribunal du préteur Brutus avec un nommé Rutilius Rex, — autant dire Rutilius Roi, — s’écrie de guerre lasse pour clore le débat : « Brutus, toi dont la race ne sait point ménager les rois, tâche donc d’étrangler celui-ci ! » — Et les scoliastes trouvent cela divin !


L’épigramme, plus libre en son tour plus borné,
N’est souvent qu’un bon mot de deux rimes orné.


Oui, mais quand il n’y a pas de rimes ? Et de pareils jeux d’esprit, dont on ne voudrait pas dans un couplet de vaudeville, font encore les délices d’honnêtes gens qui vous traitent de fantaisiste quand vous leur parlez de Novalis ou de Shelley[1] !

Pour bien juger les anciens, il faudrait pouvoir être à notre aise vis-à-vis d’eux comme nous le sommes vis-à-vis des modernes. Malheureusement cette liberté d’allure n’est point permise. Quand nous abordons pour la première fois Tacite et Cicéron, Horace et Virgile, nous ne les lisons pas, nous les expliquons sous l’influence d’un pédagogue imbu des mille superstitions du desservant qui vit de son autel, et lorsqu’ensuite, à la maturité de l’âge, il nous arrive de les reprendre ; c’est toujours avec un vieux fonds d’idées préconçues. Horace reste, dans les Odes, l’esthéticien parfait que nous montrent les Satires. Il a voyagé entre temps, connu, goûté les Grecs, sait par cœur tous les grands modèles : Alcée, Sapho, Anacréon, et les imite, non point en écolâtre et en dilettante, mais en maître, en Romain jaloux de donner à la lyre de son pays des qualités musicales et rhythmiques qui lui manquaient. En ce sens, nul n’a mieux réussi ; quelle besogne correcte et curieusement ouvragée que la sienne ! Il emprunte aux Grecs leur art sans rien abdiquer de son caractère national, et dans les difficultés qu’il s’impose pour naturaliser ses formes nouvelles, entre toujours la préoccupation de flatter l’oreille des Romains. Son expression garde invariablement l’empreinte d’excellente et solide latinité, et les atticismes dont s’émaille parfois la strophe dénotent le tact le plus fin du convenable et du permis, Horace est moins un poète qu’un artiste ; ce qui domine chez ce lyrique, c’est l’esthéticien, et ce qui prime l’esthéticien, c’est l’homme pratique. Il cultive la poésie à deux fins, joignant l’utile à l’agréable, selon un des préceptes de sa philosophie mondaine, et c’est ainsi que l’ode aura pour lui plus d’un emploi et qu’il la fera très habilement servir à

  1. Le nom de Shelley sonne ici bien d’accord ; qui jamais mieux que lui pratiqua l’odi profanum vulgus et arceo ? Tout penseur est un solitaire, un isolé parmi la foule, a phantom among men, disait-il, s’enfuyant vers les hautes cimes, les glaciers pleins de précipices, chercher la liberté, la délivrance !