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froids. Ensuite un certain temps s’écoula, comme si le confident d’Auguste eût au milieu de ses occupations oublié le poète ; puis au bout de neuf mois Mécène, un beau matin, se ravisa. Horace, mandé près de lui, accourut, et devint à dater de ce jour l’ami de la maison. Entre ces deux natures de poète courtisan et de courtisan grand seigneur, bien des affinités devaient exister ; toujours est-il qu’ils se lièrent étroitement et que cette amitié ne cessa qu’avec la vie. « Je t’aime plus que moi-même, » écrit quelque part Mécène au poète, et Horace lui répond : « Je ne veux pas que tu meures sans moi, où tu iras, jeté suivrai, car notre existence à tous les deux est indissolublement unie. » Assurance qui circule beaucoup en ce monde, mais dont il plut cette fois au destin de faire une vérité ! « Où tu iras, j’irai ! » Il voulait le suivre en Grèce, où Mécène devait accompagner Octave dans son ; expédition navale.


Ibis liburnis inter alta navium,
Arnica, propugnacula.


« Qu’adviendra-t-il de moi, à qui la vie est chère si tu vis, et lourde si tu meurs ? Poursuivrai-je, comme tu l’ordonnes, un repos qui ne m’est doux qu’avec toi, ou faut-il prendre part à cette guerre avec le courage qui convient aux hommes, braves ? » En dépit de ces belles paroles, il resta dans Rome néanmoins, attendant l’issue de la terrible lutte. Arrive la nouvelle des premiers succès, Horace s’en inspire pour composer la neuvième épode, qu’il adresse également à Mécène. Il rappelle à son ami le joyeux banquet par lequel ils célébrèrent quelques années auparavant la victoire décisive d’Octave sur Sextus Pompée, « ce fils de Neptune » qui menaçait, lui aussi, d’asservir la grande cité, et de tous ses vœux, hâte le jour où de plus belle avec Mécène et dans son haut palais de l’Esquilin, aux sons des flûtes et de la lyre, en buvant les meilleurs vins du cellier, il fêtera le nouveau triomphe de César ; mais le sort ne s’est pas encore prononcé, Octave n’a point encore écrasé son adversaire. Le dieu de la guerre tarde bien, Horace l’apostrophe : , Io triomphe ! Il se représente alors la bataille livrée et gagnée au moment même où il écrit ; César Octave n’a point de rival dans l’histoire : ni le vainqueur de Jugurtha, ni le destructeur de Carthage, ne lui sont comparables. Il voit l’ennemi en fuite, poursuivi sur terre et sur mer, troquant ses manteaux de pourpre contre des vêtemens de deuil, et pourtant, se dit-il, la nouvelle de l’heureux événement n’est point encore arrivée, la certitude irrécusable n’a point succédé tout à fait à l’espérance, une place reste aux soucis, à l’angoisse ; il tremble pour César. Cependant les rapports connus de tous sur la situation