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fut jadis à Tivoli la villa de Mécène, vous n’en trouverez pas une pierre ; mais la nature est immortelle, et les dieux ne s’en vont pas. Les montagnes de la Sabine ont encore leurs teintes d’un bleu sombre, les monts Albins leur pourpre violacée, et parmi ces tombeaux, ces décombres, dont les lignes s’accusent en vigueur au déclin du jour, quelles figures plastiques, quelles formes ! Du fond de cet océan de solitude émergent des bas-reliefs vivans : paysannes superbes qu’on prendrait pour des canéphores coiffées de marbre avec leur mouchoir blanc carrément fixé sur leur tête, petits mendians noirs de soleil et de poussière, vrais bronzes du musée de Naples. Voulez-vous voir le dieu Pan, regardez ce pâtre enfoncé jusqu’au ventre dans les hautes herbes et qui, sa peau de chèvre sur le dos, les yeux brillans, la lèvre sarcastique, tourne vers vous sa face à barbe de bouc. Et ce robuste compagnon qui garde ses buffles à cheval et ne fait qu’un avec sa monture, tenez, suivez son mouvement, il se penche en avant comme pour fouiller l’horizon, sa tête alors couvre entièrement celle de l’animal, vous avez le centaure.

La ville importunait Horace, il détestait également et les bassesses dont les quémandeurs l’entouraient, et les flatteries que les grands personnages attendaient de lui. Il ne voulait qu’on le vit le matin faire antichambre chez Auguste ou chez Mécène. Bien avant de connaître Mécène, n’avait-il pas célébré le bonheur de celui qui, exempt des tortures de l’ambition, s’arrange de manière à me vivre que pour soi ? « Je parcours seul la ville et vais comme il me plaît, où il me plaît ; je m’informe de ce que coûtent les légumes, le miel ; le soir, je flâne par le cirque, le marché, j’écoute les devins, puis je rentre retrouver mon plat de pois chiches ou de lentilles ; ensuite je gagne mon lit sans me dire que j’aurai à me lever le lendemain pour aller servir aux autres de caution ; jusqu’à dix heures, je reste au lit, puis me lève après avoir lu ou écrit quelque chose soit pour mon agrément, soit pour m’instruire, et je vais à la promenade, à moins que je ne me frotte d’huile et ne fasse de la gymnastique jusqu’à ce que la chaleur et la fatigue me forcent à m’interrompre ; alors je laisse le champ et la paume pour le bain. » Il a beau dire à son Mécène qu’il ne le quitte que pour quelques jours ; une fois parti, la campagne d’abord, puis les eaux, on ne le revoit plus. Ses yeux étaient son grand chagrin ; à vingt-huit ans, lui-même se traite de chassieux. À ce mal se joignait une affection nerveuse qui rendit nécessaire l’emploi des bains sulfureux, et, le voyage à Baïa n’ayant point réussi, Antonius Musa prescrivit la cure d’eau froide. Cette irritabilité nerveuse le frappait par momens d’une sorte d’incapacité, d’ennuis sombres, et lui faisait préférer sa retraite à la fiévreuse activité de Rome et de la cour.