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suppôt de Bacchus : Nunc est bibendum ! Mais ce n’est là que fanatisme de commande ; sa beuverie n’a point de ces débordemens orgiaques, et le disciple d’Épicure, quand il obéit à sa nature, n’offense jamais les bienséances. Jouir de la vie, en jouir à fond ou la mépriser absolument, jusque vers la fin du second siècle de notre ère, c’est-à-dire jusqu’à l’avènement des idées chrétiennes et de la philosophie néoplatonicienne, il n’y eut guère d’autre manière de penser parmi les gens cultivés de la société romaine. Comment cela n’eût-il pas été dans un état social où tout dépendait du bon plaisir de l’empereur, et qui n’avait plus ni goût au travail, ni foi en un dieu, en un idéal quelconque ? Horace ne se sentait point né pour les âpres vertus du stoïcisme ; chez lui, l’individu comptait pour beaucoup, et sa principale étude fut d’en développer sur tous les points, d’en parfaire et d’en caresser l’harmonie. Sa reconnaissance, ses sympathies de cœur avaient beau l’attacher à Mécène, il n’en quittait pas davantage son coin de terre à la campagne pour venir, dans la Rome impériale, vivre à côté de son ami. Le commerce des grands le fatiguait, toutes relations suivies, même avec ses plus intimes, lui devenaient une incommodité. Son caractère susceptible, irritable, se prêtait difficilement aux exigences du monde ; il voulait bien écrire à ses amis, soit en vers, soit en prose, à la condition qu’ils le laisseraient vivre seul à sa guise. « Chacun pour soi et Jupiter pour tous ! » Les efforts de l’homme, son travail, le font sourire ; l’histoire à ses yeux est un chaos, bien fou qui cherche à l’éclaircir, des deux côtés sont la fourbe, le crime, l’envie et la haine.


Iliacos intra muros peccatur et extra.


Pour la république ou la monarchie, il ne s’échauffe non plus guère ; il chante aujourd’hui la mort glorieuse de Caton et demain les splendeurs d’Auguste. S’il préconise les vieux temps de Rome, les vieilles mœurs, s’il oppose à la simplicité, à la pauvreté d’un Cincinnatus, d’un Régulus, le luxe et la mollesse de leurs successeurs, il s’exhale toujours de son vers je ne sais quel indescriptible souffle d’ironie et de persiflage. Ce bon vieux temps, avec tout son héroïsme, a quelque chose qui l’épouvante ; il veut bien admirer cette grandeur, pourvu qu’on le dispense de l’imiter.

En dehors des petites misères auxquelles nul ici-bas ne parvient à se soustraire complètement, j’estime qu’Horace fut un homme heureux, un poète content de son sort et jouissant de sa gloire in petto. Aucun souci politique, point de procès ; en matière de religion, d’histoire, la plus parfaite indifférence ; Horace n’a rien d’un tragique ni d’un épique. Tel que l’admiration des beaux esprits le