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holocauste, et, pour parler le langage de la dévotion, offerte à Dieu. C’est bien cependant le même homme qui parle, c’est bien aux mêmes amis qu’il s’adresse, à Victor Hugo, à Emile Deschamps, à Mérimée. Celui-ci dut sourire un peu de ce sourire discret qui déridait parfois la froideur de sa physionomie quand il se vit adresser par Sainte-Beuve des vers tels que ceux-ci :

Si, dès les premiers pas, quelque faiblesse impure,
Quelque délire encor m’a dans l’ombre entraîné,
Je ne m’en souviens plus, j’ai lavé la souillure ;
Mon seuil est désormais sans tacha et couronné.


Le ton en effet est bien changé, et tout l’esprit du recueil se concentre dans cette épigraphe tirée de la Vita solitaria de Pétrarque : Credo ego generosum animum prœter Deum ubi finis est noster nusquam acquiescere. On peut penser si l’étonnement fut grand dans le monde poétique ; cet étonnement au reste ne nuisait pas à l’admiration. « Consolateur, puissiez-vous être consolé, s’écriait Alfred de Vigny. Je vous écris les larmes aux yeux et ne sais quel éloge littéraire vous donner. » — « Écoutez votre génie, monsieur, » disait Chateaubriand. — « J’ai pleuré, moi, qui oncques ne pleure, » lui écrivait Lamartine. Le Globe lui-même, bien que peu dévot, chargeait M. Duvergier de Hauranne de faire bon accueil au nouveau converti. Béranger fut peut-être, parmi les amis de Sainte-Beuve, le seul qui laissa percer un peu d’ironie. « Quand vous vous servez du mot Seigneur, lui dit-il dans une longue lettre, vous me faites penser à ces cardinaux anciens remerciant Jupiter et tous les dieux de l’Olympe de l’élection d’un nouveau pape. » On comprend donc que Sainte-Beuve, un peu enivré par tous ces éloges, ait pu écrire avec quelque vérité : « Les Consolations furent celui de tous mes recueils de poésie qui obtint auprès du public choisi de ce temps-là ce qui ressemblait le plus à un succès littéraire. » Le public non choisi ne ratifia pas ce jugement ; peut-être a-t-il été plus sévère encore pour ce recueil que pour le précédent. Les plaintes de Joseph Delorme avaient éveillé un certain écho dans la jeunesse souffrante et besoigneuse, que la plainte vague et pure des Méditations ne satisfaisait qu’à demi : il s’était même rencontré des fanatiques pour dire que Sainte-Beuve serait le Lamartine de la bourgeoisie ; mais Joseph Delorme consolé, en train de tourner à la dévotion, obtint moins de crédit auprès des étudians. Le dédain des contemporains de Sainte-Beuve se traduisit en termes assez durs dans le National par la plume d’Armand Carrel. La génération actuelle a pris vis-à-vis des Consolations un parti plus simple ; elle ne les lit plus. Peut-être n’a-t-elle pas tort, car enfin il faut bien choisir,