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une aile à part où ils font retentir leurs cantiques d’amour. Il en est d’autres, moins heureuses et moins chastes, chez lesquelles la sensibilité a été d’abord éveillée par l’amour de la créature, et qui, trompées, déçues, mais toujours dévorées de la soif d’aimer, finissent par étancher cette soif à la fontaine qui ne tarit jamais ; c’est la race des Madeleine et des saint Augustin. Enfin il en est, celles-là plus terrestres et plus fragiles, chez lesquelles les vibrations des deux amours se confondent, naissent et expirent en même temps. Celles-là sont le plus souvent des âmes d’artiste et de poète. Il ne faut rien leur demander d’autre que des accens émus et harmonieux à l’heure de l’inspiration ; mais douter de leur foi serait aussi injuste que de douter de leur amour. De celles-là était Sainte-Beuve. Aussi, lorsque, distinguant entre la dévotion de tête et la dévotion de cœur, M. Levallois[1] dit : « Sainte-Beuve n’avait que la dévotion de tête, » il me paraît commettre une erreur capitale. C’est le cœur au contraire qui a été dévot chez Sainte-Beuve pendant quelques années. La controverse, le raisonnement et les textes n’y ont été pour rien ; il a aimé, et il a cru.

Qu’on vienne maintenant prétendre qu’au milieu des accès d’une dévotion pareille la nature de l’esprit n’a jamais perdu tous ses droits, je suis bien loin d’y contredire. Jamais, à aucune époque de sa vie, et pas plus, entendons-nous bien, à la fin qu’au commencement, Sainte-Beuve n’a été porté au dogmatisme et à l’affirmation absolue. J’admets donc parfaitement que le perpétuel point d’interrogation soit venu se poser devant son intelligence, entre les intervalles de ses élans vers la foi. Ce que je maintiens, ce que, pour l’honneur de Sainte-Beuve, tous ses amis devraient maintenir, c’est la sincérité et la chaleur de son inspiration première, sans préjudice, bien entendu, du refroidissement inséparable de toute exécution mûrie. Sans doute la flamme s’est éteinte avec les alimens qui l’entretenaient ; mais elle n’en a pas moins brûlé quelque temps sur l’autel. La publication des Consolations ne marque que le moment où elle s’allume, et bientôt nous allons la voir s’élancer en jets plus éclatans. Il est nécessaire de suspendre ici cette étude morale pour montrer l’action que les événemens extérieurs ont exercée à cette date sur l’existence de Sainte-Beuve.


OTHENIN D’HAUSSONVILLE.

  1. Sainte-Beuve, 1872.