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heureux compromis entre l’automne prolongé et le printemps anticipé, les plantes de l’Australie, fidèles à leurs habitudes natives, poussent et fleurissent de préférence dans la période d’octobre à mars : l’eucalyptus en particulier transporté sous le ciel d’Algérie, de la Corse, des stations d’hiver de la Provence et de Nice, s’y développe d’une manière presque continue avec une vigueur merveilleuse, introduit un élément pittoresque dans le paysage de la région et promet d’être une source précieuse de richesse forestière. Il contribue déjà à l’assainissement des marais, verse dans l’air des effluves balsamiques dont l’hygiène fait son profit, s’annonce même comme un agent plus direct contre les fièvres intermittentes, constitue en somme l’importation la plus utile peut-être de notre siècle en fait d’arbres exotiques de grande culture. A tous ces titres, l’attention publique est tournée vers ce sujet : en l’abordant à notre tour, en l’envisageant comme de juste au point de vue utilitaire, nous essaierons pourtant d’en mettre en relief le côté scientifique, qui présente sous divers aspects un intérêt exceptionnel.


I

Et d’abord ce vaste genre eucalyptus, riche de plus de 150 espèces, est un des types qui portent le mieux le cachet de l’Australie, c’est-à-dire de la contrée la plus originale du monde quant aux productions naturelles. Le pays où les cygnes sont noirs, où des mammifères comme l’ornithorhynque et l’échidné confinent aux vertébrés ovipares, est aussi la région végétale dont l’abbé Correa de Serra, de spirituelle mémoire, disait en riant : « Flore au bal masqué ! » Bien des plantes semblent en effet y porter un masque, tant elles dissimulent sous des traits d’emprunt les preuves de leur réelle parenté. Ici ce sont les protéacées (dryandra) qui revêtent l’apparence de fougères, là des légions d’acacia qui, loin de montrer le feuillage élégamment découpé des mimosées, prennent l’aspect de genévriers ou de saules. Les eucalyptus n’échappent point à cette tendance vers la mimique d’autres formes, et, chose étrange, la même espèce change de figure suivant l’âge, offrant au plus haut degré un phénomène d’hétéromorphisme dont les exemples sont fréquens, et dont la portée philosophique au point de vue de l’espèce n’est peut-être pas encore appréciée à sa valeur.

Dans le jeune âge, nous l’avons vu, l’eucalyptus globulus a des feuilles opposées, sessiles et glauques : on dirait une myrtacée ou bien un mille-pertuis frutescent ; mais l’arbuste se fait arbre, et dès lors tout son aspect est changé. De nouveaux rameaux s’élancent,