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dorment d’un œil quelques passagers japonais ; mais l’odeur et la chaleur y sont tellement suffocantes, que j’ai bien juré de n’y plus rentrer, quoi qu’il arrive. Le beau temps m’aida fort à propos à tenir mon serment.

Ce n’est pas, comme on le voit, un lieu de délices qu’un steamer japonais, et le pis est que dans cette navigation primitive la sécurité ne compense guère le confortable complètement absent. Quelques-uns de ces navires, destinés au service des côtes, sont conduits par des ingénieurs ou plus exactement par des mécaniciens anglais ou américains ; mais, la date forcée de mon départ ne m’ayant pas permis de choisir, je suis très mal tombé. De mécanicien, je n’en vois point, et quant au capitaine, — après m’être demandé pendant deux jours à qui pouvait bien appartenir cette fonction entre quatre individus qui semblent commander aux autres, parlent tous à la fois et prennent part aux manœuvres qu’ils ordonnent, — je me sais rendu compte seulement vers le soir du troisième jour que ce titre revenait à un gentleman orné de bottes trop neuves et d’une chemise trop ancienne, qui parut alors pour examiner le temps, qui s’assombrissait. J’ai pu méditer à loisir le proverbe populaire : « trop de pilotes font chavirer le navire. » Le voyageur ne peut se plaindre au surplus d’être abusé par de fausses promesses ; quand j’ai demandé à l’agent de la compagnie en combien de temps on allait à Sendaï, il m’a répondu en lançant négligemment sa bouffée de fumée : « Si le temps est beau, vous pouvez y arriver en quarante-huit heures. — Mais s’il ne l’est pas ? — Oh ! alors je n’en sais rien, » a-t-il répliqué, de l’air ennuyé d’un homme forcé de répondre à une question impertinente.


I

Comment en effet pourrait-on savoir quand on arrive, puisqu’on ne sait même pas quand on part ? Nous devions lever l’ancre le 27 juillet, le départ, remis au 29, a été fixé au 30 à neuf heures du matin ; mais, lorsqu’à neuf heures je saute sur le pont, la moitié de l’équipage est encore à terre, et le chauffeur ne songe pas à allumer ses feux. J’ai même l’air de surprendre tout le monde en demandant quand on va déraper. Vers deux heures, nous sommes rejoints par plusieurs passagers mieux avisés que moi ; à trois heures, l’équipage se fait ramener dans des sampangs chargés de provisions ; la cheminée commence à vomir sa fumée noire, et vers quatre heures le Kanzu-maru prend un petit élan modéré de 7 milles à l’heure La rade de Shinagawa, que nous quittons, est une des plus incommodes que l’on puisse voir. Trop ouverte et trop plate, elle ne peut