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cette contrée, celle sans laquelle toutes les autres resteraient inutiles, c’est la grande abondance de ces animaux, soumis du reste à une sobriété forcée ; c’est aussi la multiplicité des cours d’eau, qui offrent un moyen de transport ou du moins de flottage jusqu’à la mer.

Le 17, je sors enfin pour un instant du maquis, et me retrouve au bord de la mer du Japon qui miroite au soleil dans la jolie baie d’Otashuts.


III

D’Otashuts à Ishikari, on côtoie pendant 200 kilomètres la mer du Japon. On m’avait fait espérer quelques traversées de baies en bateau ; mais au premier essai, abandonné par mes sindos (marins) au milieu du chemin sous prétexte de mauvais temps et forcé de revenir au point de départ, j’ai renoncé à ce mode de transport, décidément peu commode, et repris les chevaux. Le service se fait du reste assez régulièrement sur toute cette côte, où l’on ne rencontre que des Japonais. On relaie en arrivant au hondjin[1] installé dans chaque gros village ; il faut quelquefois attendre longtemps, car il n’y a pas d’autre écurie que le maquis ; mais ne serait-ce pas folie de se mettre en route, si, entre autres viatiques, on n’emportait une énorme provision de patience ? L’état des chemins en exige plus que tout le reste ; ici ce sont des escarpemens qu’il faut escalader et redescendre par des sentiers à décourager les chamois, là des fondrières de plusieurs milles de longueur où le passage des chevaux a marqué de profondes tranchées, des étapes de 13 lieues sans un village ni un hameau, et partout des pentes vertigineuses à faire le désespoir des ingénieurs les plus habiles. Dans les cas extrêmes, quand on est las d’entendre le mango encourager d’une voix dolente ses bêtes paresseuses, on fait mettre pied à terre, et, fouaillant à tour de bras, on pousse devant soi tout l’équipage, qui roule, culbute, se relève, rue, et tant bien que mal arrive en bas. C’est ainsi qu’au milieu de la montagne de Raïdenzan j’ai fait mon entrée dans une gorge sauvage où, pris par la pluie et la nuit, je fus heureux de trouver une petite maison dont le propriétaire, de guerre lasse, me reçut après avoir cherché une série de prétextes pour me laisser à la porte. Une source d’eau sulfureuse à 45 degrés centigrades tombe dans une piscine où les malades du pays viennent prendre des bains. Le torrent froid qui coule à côté dépose sur ses parois basaltiques du soufre et du fer,

  1. Maison destinée au voyageur.