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pénible labeur en vue de bénéfices douteux ? La grande culture pour le paysan japonais, c’est le riz, et le riz ne pousse pas à Hakodaté ; aller apprendre de nouvelles cultures sous des conseillers étrangers ! risquer son travail, s’exposer à un climat très rigoureux pendant l’hiver, s’éloigner pour toujours de la ville où parfois on va s’amuser librement, tout cela sotte affaire ! On a donc été obligé d’employer la contrainte pour peupler quelques kilomètres carrés défrichés à grand’peine qui entourent Satsporo.

On y a transporté en masse les habitans de quelques provinces révoltées pendant la guerre ; plusieurs villages du Nambu, de Sendaï, d’Aïdzu, ont été dépeuplés au profit de Yézo sans qu’on s’inquiétât du discrédit que cette sorte d’exil forcé devait jeter sur l’émigration. Les colons ainsi amenés sont comme des enfans en pénitence, impatiens de sortir de leur retraite et de rentrer dans leur pays. On a eu beau leur construire des cabanes de planches, leur donner des terres à cultiver, ils laissent les maisons vides et les terres en friche pour retourner à leurs chaumières ou à leur pêche, que rien ne saurait leur faire abandonner. comme toujours, l’excès de zèle gouvernemental a tué l’initiative privée, et ceux qu’aurait pu attirer l’espoir de quelques riches profits librement poursuivis ne songent qu’à échapper à un séjour forcé. D’ailleurs, il faut bien le reconnaître, la nécessité de coloniser ne se manifeste que chez les populations trop denses pour le territoire qu’elles occupent, et ce n’est pas le cas pour le Japon, qui, en dépit des statistiques exagérées, ne possède certainement pas 20 millions d’habitans et peut facilement les nourrir. Quand on se promène dans les -six ou sept, rues larges de 20 mètres, coupées à angle droit, bordées de petites maisons basses et ouvertes à tous les vents, qui forment Satsporo, on est frappé du peu d’animation qui y règne. Beaucoup de maisons sont fermées, et, si on entr’ouvre un volet, on voit qu’elles sont abandonnées. Le maître est parti avec sa famille, ne laissant que quelques débris inutiles ou de trop peu de valeur pour être chargés sur un cheval de bât. Les ouvriers, qu’on fait venir à grands frais pour les constructions, s’en vont leur besogne finie ; en un mot, l’on ne s’acclimate pas dans cette plaine couverte de forêts, à peine défrichée sur une petite étendue, au milieu de ces montagnes couvertes de neige d’octobre à juin, où souffle directement pendant tout l’hiver un vent glacial. Aussi cette capitale n’a pas même l’aspect d’un riche village de la côte, et ressemble plus à une ville morte qu’à une cité naissante. Faut-il en accuser le mauvais vouloir des colons ou la maladresse de l’administration ?

Celle-ci n’a rien négligé du moins pour frapper les yeux. Autour du capitole dont j’ai parlé se groupent plusieurs maisons