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la monarchie ? M. Rouher ne pensait pas à cela sans doute, et à sa manière il a donné les raisons les plus saisissantes, les plus décisives, de la nécessité de cette organisation, sans laquelle il ne peut y avoir ni action sérieuse pour le gouvernement, ni sécurité pour le pays. C’est une moralité comme une autre qui vient à propos, dont l’assemblée elle-même peut faire son profit en la donnant à méditer à tous ceux qui ont quelque souci de l’avenir.

L’année qui s’achève a-t-elle été plus féconde dans les lettres que dans la politique ? Tout récemment, notre voisin le roi des Belges, dans une pensée élevée et généreuse, fondait un prix de 25,000 francs pour des ouvrages d’histoire ou de littérature consacrés à la jeune nationalité dont il est la personnification couronnée. C’était agir en souverain éclairé, très noblement préoccupé d’encourager les travaux intellectuels. En France aussi il y a des prix : il paraît que cela ne suffit pas. Il faut plus encore, il faut une certaine atmosphère favorable, l’inspiration fortifiée par l’étude chez les écrivains, la sympathie attentive et le goût dans le public, la vigilance dans la critique. Il faut bien des choses qui se retrouveront sans doute, qui ne se retrouvent plus guère pour le moment que chez ces hommes d’élite dont le talent garde son éclat et sa sûreté, qui restent comme les représentans des grandes générations littéraires. M. Mignet est un de ces hommes, et avant que l’année finit, il y a peu de temps, dans une lecture à l’Académie des Sciences morales, dont il est le brillant secrétaire perpétuel, il a donné un exemple de plus de cet art supérieur et sobre qui sait d’un trait si juste reproduire une figure de l’histoire. Le sujet était fait pour inspirer le peintre. M. Mignet avait à raconter la vie du duc de Broglie, de cet homme d’intégrité et d’honneur à l’âme libérale, à la conscience droite, à l’esprit supérieur et fin, qui a tout traversé, tout connu, le malheur, la prospérité, les plus hautes positions de la politique, le ministère, la retraite, tous les régimes depuis la première révolution jusqu’à la veille de la guerre de 1870, sans cesser un instant d’être fidèle à lui-même. Qui croirait cependant que cet homme a pu être un jour un des proscrits de l’intelligence sous le dernier empire, qu’un livre qu’il avait écrit sur le gouvernement de la France, qu’il n’avait pas même publié encore, a été menacé d’être poursuivi comme l’œuvre d’un factieux ? Et le proscripteur est probablement, lui aussi, un de ceux dont le pays n’oublie pas le nom mémorable ! M. Mignet a raconté cette vie et tracé ce portrait avec la précision et l’habileté de son talent, en homme qui peint d’un mot un personnage ou une époque, qui fixe d’un trait une physionomie et un caractère moral. C’est le duc de Broglie tout entier qui revit dans ces pages, où tout est simple, mesuré et accompli.

C’est, à ce qu’il paraît, la saison des fêtes académiques et des discours. L’autre jour, M. Mézières, en entrant à l’Académie française,