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notre siècle. Ils comprirent qu’un principe aussi puissant, et renfermant une part de vérité aussi grande que le principe démocratique, ne peut être contenu, dirigé, combattu au besoin qu’au nom d’un principe plus puissant et plus vrai. Ils n’eurent point la prétention de faire rebrousser chemin au fleuve ni même de le forcer à couler paisiblement entre deux rives artificielles. Ils voulaient au centre de la contrée submergée jeter les solides assises d’un phare que les Îlots pourraient battre sans l’ébranler. Résister aux emportemens de la démocratie triomphante en s’appuyant sur la loi de Dieu, et parler au peuple au nom de celui qui a dit à la mer : « Tu n’iras pas plus loin, » — parler aussi aux rois et aux grands au nom de celui qui a commandé aux rois de comprendre et à ceux qui jugent la terre de s’instruire, — montrer ce qu’il y a de profondément égalitaire dans la doctrine évangélique, et chercher dans l’amour du prochain la solution des problèmes complexes que soulève l’organisation des sociétés, — séparer en un mot le trône de l’autel en prouvant que l’un pouvait s’écrouler dans la poussière du passé sans que l’autre en fût abattu ou même ébranlé, et s’efforcer de rallier au pied de cet autel tous les esprits sincères, anxieux et flottans, qui sont si nombreux au lendemain des révolutions, — telle fut leur doctrine, leur espoir et leur rêve. On ne saurait aujourd’hui sans témérité essayer de préjuger l’avenir humain qui est réservé au catholicisme libéral. Il serait puéril de contester que l’éclat de cette doctrine, autrefois l’idéal de tant de jeunes et nobles âmes, ne soit un peu obscurci autant par la disgrâce théologique dont elle a été frappée que par la disparition successive de ceux qui en avaient été les premiers et les plus brillans champions. Une triste ou peut-être une heureuse coïncidence a éteint le flambeau d’une des plus valeureuses intelligences de notre temps l’année même où la cause à la défense de laquelle il avait dévoué sa vie allait recevoir le plus rude coup. Bien des événemens ont marqué la route du siècle depuis la mort de Montalembert, mais aucun dont la portée soit, plus considérable que la révolution théologique opérée au sein du catholicisme. Combien parmi ceux qui se réunissaient, il y aura bientôt cinq ans, pour suivre sous un ciel pluvieux à travers les rues boueuses le long développement de son convoi, se sont depuis lors demandé si ce jour-là ils avaient mené le deuil, non pas seulement d’un homme, mais d’une idée ! Cette idée survit cependant au fond de quelques intelligences obstinées qui ne comprennent ni la société moderne vivant sans religion, ni la religion entrant en lutte permanente avec les instincts de la société, et qui ne voient point ailleurs que dans une conciliation finale l’issue du conflit redoutable où elles