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marquise de *** dans une lettre qu’elle n’osait pas encore signer de son nom, combien votre beau livre m’a profondément émue serait une tâche difficile pour une pauvre femme ignorante de tout, excepté des chagrins de la vie. J’ai aimé ces pages, qui me révèlent à moi-même, qui m’expliquent les luttes, les pensers rêvés, trop faible que j’étais pour en soulever le fardeau ou trop impuissante à les exprimer. »

De pareils remercîmens sont doux à recueillir, et l’on comprend que Sainte-Beuve ait eu, bien des années après, l’indiscrétion de s’en vanter. Il portait du reste à Volupté une prédilection dont il n’est pas très difficile de discerner le mobile. C’était la prédilection de Chateaubriand pour René, et de Benjamin Constant pour Adolphe, Sainte-Beuve n’a jamais essayé de dissimuler que Volupté ne fût un composé de souvenirs et de portraits. Sur la fin de sa vie, il nommait les masques dans l’intimité. L’idéale figure de Mlle Amélie est peut-être un pieux hommage payé au souvenir d’une jeune fille qu’il avait connue, paraît-il, à Boulogne, son pays natal, et qu’il avait vainement désiré d’épouser. « Je sais, écrivait-il plus tard, telle rue à Boulogne où je ne passerai plus jamais, j’y ai laissé le meilleur de moi-même ; » mais le véritable portrait, c’est Amaury. Amaury, c’est Joseph Delorme devenu amoureux d’une marquise. Nous retrouvons bien en lui ce mélange de sensualité et de romanesque, de faiblesse et de passion, de sensibilité et d’égoïsme, qui, peint avec plus ou moins d’idéal ou de réalité, constitue le type éternel du héros de roman, qu’il s’appelle Saint-Preux, Werther, Oswald ou Bénédict ; mais ce qui est particulier à Amaury et à son modèle, ce sont ces alternatives de passion romanesque, de grossiers désordres et de remords mystiques, qui peignent fidèlement l’état d’âme de Sainte-Beuve au moment où il écrivait Volupté. La ressemblance s’arrête pourtant au dénoûment. Les chagrins et la souffrance ont conduit Joseph Delorme au trépas, Amaury au séminaire. On va voir que dans la pratique Sainte-Beuve ne prenait pas aussi tragiquement les choses. Je dois en effet à une personne de beaucoup d’esprit le récit suivant d’une entrevue qui eut lieu devant elle, quelques années après, entre le véritable Amaury et la véritable marquise de Couaën. On y verra que, fût-on le plus spirituel des critiques, on doit toujours se méfier de la pénétration d’une femme.

« La passion de Sainte-Beuve pour Mme X… avait fini par une brouille de longue durée. Ils n’étaient pas encore réconciliés lorsqu’un soir le hasard les amena en présence devant moi.. Jusque-là rien que de très-ordinaire : c’est ce qui arrive tous les jours ; mais la chose piquante, c’est que M. Sainte-Beuve, voulant dire tout ce