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cigales, les grelots de nos mules, et surtout la sourdine plaintive de la mer battant contre les rochers, comme un écho demeuré des gémissemens d’Astarté pleurant son divin amant.

Le jour naissant n’a rien laissé debout de nos rêves. Il nous a montré quelques pauvres cabanes de pêcheurs groupées autour de la petite crique, au pied d’un haut donjon carré, construction arabe entée sur de belles assises de grandes pierres à refends qu’on a longtemps appelées cyclopéennes ou phéniciennes, mais qui, d’après les derniers arrêts de l’archéologie contemporaine, paraissent devoir être restituées simplement aux Romains. Nulle inscription ne trahit leur secret et ne vient faire concurrence aux légendes humoristiques et aux croquis gaulois laissés par nos troupiers sur le crépi de chaux des chambres de la tour. Quelques soldats libanais fort déguenillés et instruits à la française par un sous-officier gardent ces remparts, ces cabanes, une vieille église ruinée d’origine franque et les tombeaux épars dans la plaine. Pour témoigner, au milieu de toute cette misère, des splendeurs du passé, des tronçons de colonnes de marbre, de porphyre, de granit de Syène, se sont gauchement laissé prendre à tous les pans de murs, dans le torchis de boue et de rocaille, et y font la piteuse figure d’un os de géant dans le squelette rachitique d’un nain.


Les Cèdres, Ainétha, 17 novembre.

Tous ces jours-ci, nous avons traversé la partie de la montagne qu’on appelle le Kesrouan, en contournant le pic central du Sannîn. A partir d’Antoura, où nous avons laissé les tièdes brises de la côte dans les orangers du couvent, nous nous sommes élevés par des plateaux désolés et inhabités, et nous avons essuyé les nuits glaciales des sommets. Les Métualis d’Aphkâ nous ont reçus dans un site incomparable, où le fleuve d’Adonis sort brusquement d’une muraille de rochers, entre les ruines du temple de Vénus, comme notre fontaine de Vaucluse. De ces hauteurs, nous sommes descendus par des sentiers de chèvre, où nos petits chevaux faisaient la plus brave contenance, dans la célèbre vallée de Kadischâ, sur les villages de Kanobîn, de Diman et de Bcherreh, où nous avons couché hier.

Ce matin, nous quittons le village maronite pour monter aux cèdres de Salomon, à pied, par un sentier hasardeux, serpentant aux flancs de la gorge étroite et profonde qui descend du col du Liban à la mer, vers Tripoli. Nous nous arrêtons d’abord à un ermitage bâti sous une voûte de rochers. Un moine italien, qui l’habite depuis sept ans, nous questionne avec empressement sur la guerre de 1870 et l’attitude de l’Italie. Ah ! padre Antonio, est-ce bien la peine de se faire ermite et de s’ensevelir dans la gorge de Kadischâ