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misère et absence du nécessaire ? La majeure partie des Orientaux retarde de trois ou quatre siècles sur nous au cadran de l’humanité, et vit dans un horizon intellectuel et social sous beaucoup de rapports comparable à celui de nos aïeux du moyen âge. Quand nous lisons dans les vieilles chroniques les naïves admirations de nos pères pour des idées, des inventions, des œuvres ou des plaisirs qui n’éveillent aujourd’hui que notre sourire, nous tâchons de redevenir enfans pour les comprendre et voir comme eux ; faisons de même pour l’Arabe. Cette mise au point de vue est la préparation la plus indispensable à l’étude de l’Orient moderne, comme à celle de l’Orient antique, de l’Orient sacré.

Il ne faut pas chercher ici de monumens antiques. En dehors de quelques restes d’arcs de triomphe et de colonnades encastrés dans les maisons de la Rue droite, qui partage la ville dans l’axe de l’ancienne via recta avec la fidélité obstinée, instinctive, que l’Oriental garde aux rues et aux chemins où ont passé ses pères, il ne subsiste rien des splendeurs d’autrefois. Pourtant Damas n’est pas une parvenue ; elle a ses titres de noblesse dans la Genèse, et depuis lors l’histoire ne l’a jamais perdue de vue. Rabelais appelait Chinon « ville insigne, ville noble, ville antique, voire première du monde, selon le jugement et assertion des plus doctes massorets. » — Les « massorets » donneraient encore le pas à Damas ; mais, si la vieille capitale syrienne n’a rien retenu de son brillant passé, c’est qu’elle ne compte plus ses sacs, ses incendies et « es ruines. Le beau fruit de l’oasis a tenté tous les conquérans affamés du désert ; depuis le temps où les cheiks amorrhéens y poursuivaient Chodor-lahomor, Assyriens, Mèdes, Égyptiens, Romains, Sarrasins, Turcs, y ont assez promené leurs armes pour éviter à l’archéologue la peine de glaner après eux. Seuls les croisés n’ont pu en forcer les portes ; aussi Damas est-elle restée de ce chef l’une des villes saintes de l’islam.

Nous entrons dans la grande mosquée, où le ghiaour est aujourd’hui admis, sans trop de peine, sous la protection d’un cawas du consulat. On la prend généralement pour une ancienne basilique chrétienne ; cette opinion ne saurait subsister devant la comparaison avec les mosquées-types du Caire. Voici bien la cour en forme de carré long, entourée sur trois côtés d’un cloître à un rang d’arcades, et, sur le côté orienté, d’un vaisseau à trois nefs. Les colonnes, presque toutes de marbres précieux, à lourds chapiteaux byzantins qui supportent ces nefs, proviennent seules de l’ancienne basilique, vraisemblablement bâtie sur le même emplacement. Au centre des trois nefs, une coupole protège une fontaine. Une sorte de petite chapelle à grillages curieusement ouvragés,