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qui il s’adresse, il passe en revue les charmes de celle qu’il aime, la fraîcheur de ses traits, l’éclat de son sourire ; il décrit tout au long ses yeux tranquilles et troublans à la fois, son front pur, ses cheveux blonds, ses mains blanches, — oh ! ses mains, ses mains surtout, de petites mains douces, fines, transparentes, avec des doigts effilés, des ongles roses et bien polis. C’est un flux de paroles, un débordement d’épithètes comme seule en peut fournir la langue d’un amoureux, et d’un amoureux espagnol. Non content de cela, pour mieux peindre sa dame, notre théologien fait appel à ses souvenirs classiques : il emprunte à la mythologie païenne les comparaisons les plus fleuries, au Cantique des cantiques les exclamations les plus passionnées ; puis, quand le vieux doyen, homme d’expérience, qui n’a pas besoin d’être sur les lieux pour voir où tendent tous ces sentimens mystiques et cette phraséologie brûlante, l’avertit du danger, lui s’indigne, s’irrite. Il ne comprend pas qu’on ose douter de sa fermeté : il admire en Pepita l’œuvre du divin artiste, œuvre achevée, sublime, et rend hommage au Créateur. Tout cela est fort amusant, fort bien observé : il y a des pages qu’on voudrait citer en entier ; par malheur, et c’est le propre des études de ce genre, le principal mérite consiste dans le détail, les caractères se développent si naturellement, l’analyse est si délicate et si minutieuse qu’on ne peut rien en détacher sous peine d’être infidèle en étant incomplet.

Mais que fait don Pedro pendant ce temps-là, tandis que Pepita et son fils le trompent de moitié ? Est-il dupe des deux amoureux ? Le jeune Luis par momens ne peut se défendre d’un peu de pitié pour tant d’aveuglement. Bast ! laissez faire, le bonhomme est malin, et s’il ferme les yeux, c’est qu’il a de bonnes raisons. Une vraie trouvaille que ce rôle du père, le type du grand propriétaire campagnard, avec sa rondeur cavalière fourrée de finesse andalouse, toujours gai, bon vivant, aimant les joyeux devis, les chevaux et les filles, qui paraît à peine dans le roman et qui pourtant mène tout ! Il a fait la cour à la Pepita sans succès, et il ne s’en est point désolé outre mesure. Ce qui l’affligerait davantage, ce serait de voir son fils unique, l’héritier de tous ses biens, prendre la robe de prêtre et s’en aller catéchiser des Chinois. Ne pourrait-on de façon ou d’autre dégourdir et défroquer ce grand garçon-la ? et quelle meilleure façon que l’amour ? Ce serait plaisir d’ailleurs de mettre un peu à l’épreuve la farouche vertu de cette prude Pepita. Nos deux jeunes gens semblent ne se pas déplaire ; à peine s’étaient-ils vus pour la première fois que déjà dans leurs regards et dans le son de leur voix se trahissait une émotion naturelle. Voilà le plan de don Pedro tout tracé : désormais avec un désintéressement trop rare pour n’être pas calculé, il va s’employer au succès de cette entreprise, où il n’a pas sa place. C’est lui qui sous main leur facilite les occasions de se voir et de se parler. En même temps il cherche à éveiller dans le cœur ardent du jeune homme des pensées et des désirs mondains : il veut lui