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À la fin du jour, le paysage s’humanise, la vigne commence à ramper sur des terrasses étagées qu’elle étreint de ses mille bras crochus, des maisons se détachent sur le velours des orges naissantes, des clôtures et. de beaux bouquets d’oliviers descendent jusqu’à la route. Des vrilles de fumée bleuâtre, perçant le fond du. ciel envahi par les ombres du crépuscule, nous annoncent la vénérable Hébron, une des rares villes dont l’Écriture poursuit l’histoire jusque dans la nuit des temps fabuleux. Les Enacim, les géans nés du commerce des anges et des filles de Caïn, l’habitaient alors ; elle passa ensuite aux Chananéens, qui l’appelèrent Kiriath-Arba. Ils y virent un jour arriver le berger chaldéen qui planta sa tente sous les térébinthes de Mambré, et acheta pour 400 sicles d’argent le double caveau d’Ephron, où il ensevelit sa femme Sara en attendant d’y venir reposer lui-même. Josué constate expressément qu’Hébron « fut fondée sept ans avant Tanis, ville d’Égypte. » Au moyen âge, la croyance générale de l’église était qu’Adam avait été créé dans un champ de terre rouge, proche du tombeau d’Abraham : les pèlerins venaient admirer ce berceau de l’humanité et recueillir les indulgences qui y étaient attachées en achetant du propriétaire sarrasin un peu du limon dont avait été formé le premier homme. Le frère Faber prend soin de nous avertir à ce propos dans l’Evagatorium qu’Adam, dont la création tomba le 25 mars de l’an 1, a était un géant colossal, très beau, très docte en tous arts libéraux, nommément en astrologie, géométrie, musique, grammaire et rhétorique. » Le digne historiographe nous promène longuement dans la caverne voisine, où le père de la famille humaine aurait mis pour la première fois en pratique le précepte que lui avait donné son créateur dans l’intérêt de cette famille.

Quoi qu’il en soit des indications lointaines du Pentateuque, grossies de ces naïves légendes, la sépulture des Abrahamides, attestée par une tradition continue et authentique depuis Moïse, est un titre de noblesse suffisant pour Hébron., Aussi l’aïeule des cités juives n’a-t-elle jamais pu se mettre au pas de la civilisation. En dehors de tout mouvement européen, à peine visitée de loin en loin par de rares pèlerins, elle a gardé une physionomie foncièrement orientale, c’est-à-dire, il faut bien se L’avouer, la saleté, la misère, l’absence de tout bien-être, de tout essor industriel. Assez considérable en apparence pour sa population de cinq à six mille âmes, elle se partage en trois quartiers, pittoresquement perchés sur trois collines adjacentes ; du pied des minarets aigus qui pyramident sur ces sommets pendent des grappes de maisons grimpant les unes sur les autres, auxquelles, l’absence de toits donne : un aspect inachevé et abandonné.