Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a livré l’Alsace aux mains des Welches pour avertir et pour punir l’Allemagne. » Ces sortes de tirades ne sont pas rares, et ce qu’on en a lu pendant la dernière guerre n’était que réminiscences d’école.

Contrairement à notre philosophie du XVIIIe siècle, qui aimait à écarter les circonstances extérieures et, selon elle, purement fortuites, telles que le pays et la race, pour chercher l’homme sous la diversité des types et pour l’élever en vue de l’humanité, la pédagogie allemande s’arrête avec une complaisance marquée sur les différences de race et de pays, qu’elle considère, non pas comme accidentelles, mais comme tellement importantes qu’elles font la loi à l’homme et doivent décider de sa vie. « Il faut, écrit le professeur Thilo[1], éveiller chez l’enfant une satisfaction consciente d’appartenir à la nation allemande et non à aucune autre ; il doit placer son bonheur dans l’idée de vivre selon le modèle de ses nobles devanciers ; il doit se proposer de ne point dégénérer d’une race qui a affirmé son droit devant Dieu et devant le monde. » Ce qu’il y a sous cette phraséologie un peu obscure, c’est l’assujettissement de l’individu à l’espèce, et la subordination de l’espèce à certaines formes traditionnelles, parmi lesquelles la langue est au premier rang. Tandis que la philosophie de nos encyclopédistes concluait à l’égalité de tous les hommes, c’est l’inégalité qui est la conclusion de la nouvelle philosophie allemande. Toutes les races ne se sont pas au même degré affirmées devant Dieu et dans l’histoire, en sorte qu’elles n’ont pas un même droit à revendiquer l’autorité sur l’individu. Il est curieux de voir comment ce sentiment se traduit jusque dans les endroits où l’auteur fait des concessions à la notion de l’égalité. « Le peuple, dit-il, a le droit de voir garantie l’identité de son essence ; proprium est carum, même à des Polonais ! »

Je suis amené ainsi à parler de la façon dont l’enseignement fait connaître les nations étrangères ; mais d’abord je dois signaler une assertion qu’on rencontre souvent dans les livres allemands, et qui offre avec les faits un contraste trop frappant pour qu’il ne soit point nécessaire de l’expliquer. « Un des traits du caractère national, peut-on lire dans quantité d’ouvrages et à peu près tous les jours dans la presse allemande, c’est l’extrême impartialité avec laquelle il apprécie les autres peuples : cette impartialité va si loin qu’elle le rend injuste pour lui-même et lui fait oublier ses propres mérites comme les Perses au témoignage d’Hérodote, les Allemands adoptent facilement les idées et les usages de l’étranger, et plus d’une fois ils ont renoncé aux vertus natives pour

  1. Directeur du séminaire pour les écoles municipales de Berlin, auteur de nombreux écrits, mort en février 1870.