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critique qui, suivant ses expressions, n’était pas un héros une réserve prudente dont Sainte-Beuve n’avait garde de se départir. On savait bien quels étaient les vaincus de la veille ; mais peu s’en fallait qu’ils ne fussent redevenus les maîtres du jour, et personne en tout cas ne pouvait prévoir les vainqueurs du lendemain. Aussi c’est merveille de voir comme Sainte-Beuve entend l’art de ne se brouiller avec personne. Parle-t-il de la famille royale que la révolution de février vient d’envoyer en exil, c’est pour rendre hommage à la jeune princesse que quinze ans auparavant on avait vue arriver à Fontainebleau, désirée et fêtée non moins que ne l’avait été la duchesse de Bourgogne, et possédant de plus qu’elle l’élévation morale et les hautes vertus. Même hommage spontané, même convenance et respect dans le ton quand il consacre un article à la mémoire de Mme la duchesse d’Angoulême. Sur le compte des hommes qui naguère encore étaient au pouvoir, M. Guizot, M. Cousin, M. Villemam, il continue à s’exprimer sur le ton d’une bienveillance équitable à laquelle une pointe d’ironie commence à peine à se mêler. S’il est encore plein d’égards pour le passé, il ne néglige pas cependant de tourner parfois ses regards du côté où le soleil se lèvera peut-être. Il ne déguise pas sa haine pour le parti révolutionnaire, et il en démasque avec courage les prétendus héros dans son étude sur Camille Desmoulins ; en revanche, il ne témoigne aucune malveillance, aucun parti-pris de sévérité vis-à-vis de cette démocratie si brusquement triomphante dont il disait spirituellement qu’elle était devenue Monsieur le Dauphin. Dans un article bien joli, bien profond, et qui est encore à méditer aujourd’hui, sur les lectures publiques du soir, il examine les meilleurs moyens de faire l’éducation littéraire (il ne parle pas de l’éducation politique) de ce peuple de Paris et de cette classe ouvrière dont il note avec intelligence et sympathie les instincts, les tendances, les impressions ; mais ce n’est point seulement cette puissance populaire, confuse et impersonnelle en quelque sorte, qui obtient ses hommages discrets. On sent qu’il est secrètement attiré vers une personnification plus vivante et plus tangible de la force. Durant cette période de trois années, il ne revient pas à moins de quatre reprises différentes sur l’histoire de Napoléon Ier, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre, et, bien qu’il ait le bon goût de s’abstenir de toute allusion directe, il n’est pas malaisé de deviner quel respect et quelle admiration lui inspire le génie despotique, mais puissant, qui réorganisa la France avant de laminer. On devine les espérances que ce nom lui inspire, et l’impatience avec laquelle il attend, comme il le dit lui-même, « en présence de cette sauvagerie menaçante l’apparition de quelqu’un de ces hommes puissans et rares auxquels le cri public fait appel, qui comprennent à fond la