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indépendance : vouloir plaire et rester libre, c’est le moyen de bien faire. » Sainte-Beuve paraissait avoir renoncé à cette approbation morale. Il ne devait pas tarder d’ailleurs à rencontrer dans une autre société des relations augustes sur le caractère desquelles j’aurai à revenir, et qui avaient de quoi le dédommager. L’article des Regrets reçut bientôt sa récompense par l’offre qui lui fut faite de continuer au Moniteur officiel l’entreprise littéraire qu’il avait commencée au Constitutionnel. Sainte-Beuve accepta cette proposition, et cette série nouvelle s’ouvrit le 6 décembre 1852 par un article consacré à l’abbé Barthélémy.

Ce n’est pas seulement parce qu’elles ont été publiées dans un nouveau recueil que les études insérées par Sainte-Beuve au Moniteur officiel méritent d’être examinées à part ; c’est aussi parce qu’elles diffèrent par le choix des sujets et par la gravité du ton. L’attention de Sainte-Beuve s’écarte des personnages purement littéraires pour se porter de préférence sur les hommes publics qui ont joué un rôle dans l’histoire de leur temps, soit qu’ils en aient été une des figures dominantes ou du moins principales, comme Henri IV, Sully, Richelieu, Frédéric le Grand, Franklin, soit qu’ils aient tenu un rang secondaire, mais encore brillant, comme le président Jeannin, le cardinal de Bernis, Bailly, M. Rœderer, M. Daru. A peine se laisse-t-il aller à dessiner des figures plus souriantes, comme celles de Marguerite de Navarre et Gabrielle d’Estrées. Ce n’est que lorsqu’il est enhardi par plusieurs années de collaboration au journal officiel qu’il se familiarise au point de traiter des sujets moins graves et plus littéraires, comme dans ses études sur Cowper, sur Chapelle et Bachaumont, sur Léopold Robert ; mais le ton ne perd rien de sa gravité et de sa circonspection. Point de chaleur, point d’éclat, point de traits trop aiguisés ; rien qui rappelle les vivacités du Globe ou du National, ni qui fasse pressentir les malices dont les Nouveaux Lundis seront semés : tout au plus quelques ripostes, comme l’article en réponse au discours de M. Mignet où celui-ci, faisant l’éloge de Jouffroy, avait laissé pressentir la crainte que le nouveau régime ne fût point très favorable au développement des études philosophiques. Ce qui distingue surtout ces articles, c’est une réserve qui va jusqu’à la timidité dans la manière de traiter les sujets qui pourraient éveiller quelques susceptibilités. Il parle de saint François de Sales et de Bourdaloue avec une finesse bienveillante dont la délicatesse des consciences catholiques ne saurait se froisser. C’est en effet le temps de ce que Sainte-Beuve appelle lui-même « l’union et le libre concert entre l’église et l’état, » union et concert auquel il applaudit. C’est le temps où en gage de cette alliance l’empereur envoie aux marins de la flotte une statue de la Vierge. Sainte-Beuve célèbre l’envoi de