Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/583

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre le parti catholique et l’empire, et l’on n’aurait pas souffert à la quatrième page du journal des attaques trop vives contre ceux qu’on s’efforçait de rassurer par de petites notes insérées à la première. La « guerre aux cléricaux » était au contraire tout à fait dans les traditions de l’ancien Constitutionnel, et il n’était pas à craindre que Sainte-Beuve rencontrât des difficultés du côté de la rédaction. Il avait donc eu raison de choisir ce journal pour la campagne nouvelle qu’il inaugurait le 16 septembre 1861 par un article sur M. de Laprade. Dans cet article, il ne faisait qu’aiguiser ses armes en dirigeant déjà quelques épigrammes acérées contre un poète d’un talent élevé et sympathique, qui avait le tort d’appartenir à l’école catholique. Bientôt il allait porter ses coups plus haut et s’en prendre au catholicisme lui-même, ou du moins à ce qu’il appelait ce catholicisme « parisien et mondain, agité et agitant, superficiel et matériel, fiévreux, ardent à profiter de tous les bruits, de toutes les vogues et de toutes les modes du siècle, de tous les trains de plaisir ou de guerre qui passent, qui vous met à tout propos le feu sous le ventre et vous allume des charbons dans la tête, dont il est sorti la belle jeunesse qu’on sait et que l’on voit à l’œuvre. » Il témoigne moins de bienveillance à ceux qui représentent avec honneur et modération les doctrines catholiques qu’à ceux qui les compromettent par leurs excentricités et leurs excès. Il lance des traits plus envenimés contre le père Lacordaire et contre M. de Falloux que contre M. Veuillot lui-même. Il n’épargne pas davantage les représentans du catholicisme dans le passé ; il dénigre Bossuet et il parle d’un ton dégagé des absurdités de Bourdaloue ; mais en même temps qu’il inaugure une méthode nouvelle plus libre, plus hardie, plus agressive, ses études gagnent, il faut le dire, en brillant et en profondeur. Les grandes questions y sont à chaque instant soulevées, les théories les plus ardues y sont abordées sans crainte. Ce n’est plus, à proprement parler, de la critique littéraire ; c’est tantôt de la philosophie, tantôt de l’histoire, tantôt de l’esthétique. Ce qu’il a perdu peut-être en modération et en impartialité, il le regagne en éclat et en audace. N’était par instant une pointe de grossièreté, qui fait contraste avec la parfaite délicatesse de son ancienne manière, on pourrait dire que c’est son moment le plus accompli. Et ce tour de force, de verve et d’abondance, il le continuera sans interruption pendant huit ans, d’abord au Constitutionnel, puis de nouveau, quoique sous une forme un peu moins agressive, au Moniteur, puis avec plus de liberté que jamais et jusqu’à la veille de sa mort au Temps, où son entrée causa dans le monde officiel un scandale que j’aurai à raconter. Jamais, on peut le dire, gageure plus invraisemblable n’avait été tenue par