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dernières années du régime de 1852 n’ont pas oublié l’effet produit par cette piquante satire de toute la politique impériale, par cette longue revue de toutes les maladresses qui lui avaient successivement aliéné l’opinion publique, revue dont chaque couplet se terminait, comme un refrain, par cette phrase tombée un jour de la bouche d’un ministre influent : mais après tout qu’est-ce que cela nous fait ? Le dernier trait de cette satire était une épigramme sanglante à l’adresse des conseillers de la politique impériale. Arrivant à l’article qui réservait la responsabilité des ministres devant l’empereur : « Soit, disait Sainte-Beuve, mais je demande qu’on rédige ainsi l’article : les ministres ne dépendent que de l’empereur, mais ils conservent devant lui leur entière indépendance de jugement, de caractère et. de langage. » Avait-il toujours conservé lui-même cette entière indépendance ? Ceux qui l’avaient rencontré à Compiègne avant qu’il ne fût nommé sénateur auraient pu peut-être le dire ; mais ils n’en avaient guère le droit, et ce n’était pas du côté de l’opposition, à laquelle Sainte-Beuve se ralliait si franchement, que pouvait partir le reproche. On fait toujours dans les partis bon accueil aux transfuges. Tout était oublié, et l’article des Regrets et la nomination au sénat. Sainte-Beuve goûtait donc au terme de sa carrière cette double jouissance de combiner les avantages positifs qu’assure une situation officielle avec les agrémens de la popularité qui s’attache toujours en France à l’opposition ; il avait lieu d’être satisfait. Une seule chose devait lui manquer, le temps de savourer un si rare plaisir.


IV

C’est souvent un triste sujet d’étude que les dernières années d’un homme illustre, de quelque éclat qu’elles aient été environnées. « Il y a deux choses, disait Mme Swetchine, dont je n’ai jamais compris la beauté : une belle gelée et une belle vieillesse. » Cependant c’est un spectacle qui n’est dénué ni d’intérêt ni de grandeur, lorsque le corps décline et paie son tribut à la loi de dégénérescence, de voir au contraire l’esprit qui se fortifie, l’âme qui s’élève et la nature morale qui proteste contre la décadence de la nature physique. Dans cette lutte qui se poursuit durant toute la durée de l’existence entre le principe du bien et le principe du mal, entre l’intelligence et la matière, entre l’âme et le corps, il y a toujours un vaincu et un victorieux. La vie ne vous laisse jamais au point où elle vous a pris ; elle vous abaisse ou vous élève, et l’on monte ou l’on descend avec elle les degrés de l’échelle. Sainte-Beuve a porté une curiosité impitoyable dans l’étude de