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La danse héroïque apparaît avec le tableau de Jupiter et des corybantes. Le dieu enfant est caché dans l’île de Crète, loin de la dent vorace du vieux Saturne ; mais le nouveau-né crie, et ses vagissemens peuvent se faire entendre jusqu’à la voûte des cieux. Les curètes, les corybantes, les cabires et les telchines, ses vigilans gardiens, dansent autour de lui une ronde tumultueuse, sautant, bondissant, hurlant, choquant des épées et des boucliers, agitant des tympanons, frappant des cymbales d’airain. Au milieu de la composition, une femme qui pourrait être Rhée ou quelque nymphe crétoise contemple avec l’expression d’une vierge-mère chrétienne l’enfant divin qu’elle tient entre ses bras. Dans ce tableau, M. Paul Baudry, qui aime le mouvement et qui l’aime peut-être un peu trop, à notre point de vue sans doute exagéré de fanatisme pour l’art antique, a pu librement s’y livrer, car le mouvement était dans le caractère même de la scène. On ne devrait pas représenter les corybantes, « ces dieux bondissans et tourbillonnans, » dit l’hymne orphique, dans les attitudes calmes et tranquilles des olympiens.

La danse des cabires, c’est la danse héroïque des peuples primitifs, des races jeunes et fortes. Voici dans Salomé la danse licencieuse des nations à leur déclin, des civilisations énervées et corrompues, de la Rome des césars, de la Byzance des empereurs et des pachaliks des sultans turcs. Voici la danse des antiques saltatrices et des modernes aimées, la danse des reins et la danse du ventre. Dans un riche atrium, le tétrarque Hérode est à demi couché sur un sofa (accubitum) tendu d’une étoffe jaune. Devant lui, l’impudique Salomé, entièrement nue sous un voile transparent, danse en faisant claquer des crotales d’or. Une esclave accroupie aux pieds du tétrarque accompagne la danse sur la cithare, dans une de ces cadences lentes et monotones que la musique arabe nous a conservées. Le tétrarque est sous le charme. Hérodiade, qui se tient derrière lui, tend à un esclave un plat d’argent qu’il lui rapportera bientôt tout ensanglanté avec la tête de saint Jean-Baptiste. Il faut admirer la figure de Salomé ; ses formes sont grasses et fortes. Sa chair, d’une excessive blancheur, est modelée en pleine pâte avec une rare énergie. Il y a des flexions de reins et des mouvemens d’épaules d’un rendu étonnant, qui ne sont exprimés que par les saillies et les dépressions des chairs sous l’action des muscles. C’est ce qu’on appelle « un magnifique morceau » en terme d’atelier.

Dans l’Assaut, M. Paul Baudry symbolise la musique guerrière, les hymnes de Tyrtée aussi bien que les strophes de Rouget de Lisle, et ces terribles rhythmes des batailles que les hoplites Spartiates entendaient siffler dans les flûtes aiguës et que les troupes modernes entendent gronder dans les tambours. L’Assaut est inspiré par ces sauvages mélopées qui, éclatant dans les combats, rapides,