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furieuses, haletantes, enivrent les plus vaillans et entraînent les plus timides, font un héros du dernier conscrit et un Cynégire de ce zouave de l’Alma qui, le poignet brisé par une balle, empoigne son clairon de l’autre main et continue à sonner. Le premier plan, à gauche, est occupé par un groupe de trompettes casqués de têtes de lions dont les fauves crinières tombent sur leurs épaules. Des guerriers s’élancent à l’assaut d’un retranchement de terre. Ils courent, ils volent ; l’élan est d’un grand et magnifique mouvement. Quelques-uns, frappés par les flèches et les pierres, roulent à terre. Ils tombent, comme le soldat tombe, lourdement et sans gestes. Ils ne prennent point les poses nobles que l’école de David a préconisées. Un des guerriers, tout nu, le glaive haut, la face convulsée de fureur, est d’une si superbe hardiesse qu’on lui pardonne volontiers l’écartement démesuré de ses jambes, qui est plus d’une salle d’escrime que d’un champ de bataille. C’est un Ajax furieux qui a la folie du sang et la soif de la mort, qu’il la donne ou qu’il la reçoive. Au milieu de ce tumulte où flottent les étendards de pourpre et où brillent les éclairs d’acier des épées, se tient à cheval, dur et impassible, le général. Sa fière silhouette domine toute la scène. Le chef garde son calme dans la mêlée. Il donne l’ivresse sans la partager, il déchaîne la foudre sans en être brûlé. C’est un vrai Romain. Il a le cœur au triple airain. Dans le ciel nuageux, Bellone plane sur la mêlée en chantant le péan des batailles.

Après l’hymne héroïque, la cantilène agreste, le chant d’amour après le hurlement de guerre. La poésie pastorale, personnifiée par les Bergers, a inspiré à Baudry peut-être l’œuvre la plus parfaite de toute sa décoration. Dans un frais vallon de cette campagne d’Éphèse célébrée par Longus ou de cette Sicile chantée par Théocrite, bergers et chevriers se reposent, tandis que leurs troupeaux paissent au loin. Les plus jeunes, groupés sous un arbre au feuillage d’un vert rompu, se disputent le prix de l’harmonie. L’un joue de la syrinx, ses compagnons l’écoutent en attendant leur tour. Sur l’herbe, devant eux, sont les rustiques prix du concours : un chevreau blanc, une coupe de hêtre. Au premier plan, à droite, une jeune femme agenouillée trait une brebis. Dans le fond, un vieux bouvier, revenu de ces plaisirs enfantins, rappelle au son de la cornemuse ses bœufs égarés. Cette scène est vraiment antique. Il s’en dégage une impression de calme et de sérénité qu’on n’est point accoutumé de trouver dans les œuvres inquiètes et tourmentées de l’art moderne. Aucun mouvement forcé, aucun geste cherché, aucune note bruyante. C’est l’harmonie elle-même, l’harmonie des formes, des groupes, des couleurs. Les figures, tenues dans une